« Tant que j’avais de bonnes notes, mes parents ne s’inquiétaient pas »

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La rencontre avec celui qui allait devenir son proxénète a eu lieu lors d’une soirée, chez une copine du lycée. Rosalie (c’est un prénom d’emprunt) avait 15 ans. En surface, une existence sans aspérités : famille bourgeoise, scolarité excellente, six heures d’entraînement de sport chaque semaine… Mais, en réalité, « cette année-là, j’étais très déprimée, au bord du gouffre », raconte la jeune femme au regard bleu, 30 ans aujourd’hui.

Son histoire, ainsi que celle d’autres « survivantes de la prostitution », comme elles se désignent elles-mêmes, est au cœur du podcast « La Vie en rouge », réalisé avec le concours du Mouvement du nid, une association qui soutient les personnes prostituées. Rosalie, que Le Monde a rencontrée, a accepté de revenir sur son vécu de prostituée adolescente. Un témoignage précieux à l’heure de la présentation d’une stratégie gouvernementale de lutte contre la prostitution, avec un volet consacré aux mineurs, un phénomène en expansion ces dernières années.

Comment une jeune fille venant d’un milieu aisé, à l’intelligence précoce, a-t-elle pu tomber dans la prostitution ? Les études portant sur le profil de ces jeunes filles (les garçons sont bien moins nombreux) soulignent la forte proportion, parmi elles, de victimes de violences préalables, vécues dans l’enfance. Rosalie ne fait pas exception. Depuis toute petite et tout au long de son enfance, elle subit sans le dire l’inceste de son oncle et de son frère. Chez elle, personne ne voit rien. « Mes parents avaient besoin que tout aille bien », lâche-t-elle.

« J’étais complètement dissociée »

En apparence, donc, tout va bien. Mais l’homme de 30 ans dont elle croise le chemin en cette fin d’année de 2de comprend vite, lui, qu’il n’en est rien. Ils se revoient, et le piège se met en place. L’attention qu’il lui porte, puis la « terreur absolue » qu’il lui inspire expliquent l’engrenage. Il durera deux ans et débute par « des après-midi entiers d’agressions sexuelles et de viols ». A deux, ou avec la participation d’une autre femme ou d’un autre homme. « C’était un réseau, mais je ne l’ai compris que bien plus tard, raconte Rosalie. A chaque fois, il me laissait un peu d’argent. Après quatre heures d’agressions, de tortures, il me donnait 20 balles. » Et, un jour, « il m’a dit que je lui devais de l’argent ».

Elle est conduite dans une chambre d’hôtel, où les clients se succèdent, sous la surveillance du proxénète. C’est la fin de l’été, « juste avant mon entrée en 1re ». « J’arrivais le matin, et puis je rentrais en fin de journée chez moi », où elle reprend son quotidien de lycéenne. Au fil des mois, la jeune fille se sent devenir « un robot ». « J’étais complètement dissociée », au point d’oublier le soir ce qu’elle avait vécu le matin même, et d’y retourner le lendemain, explique Rosalie.

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