« Les protestations des agriculteurs ne relèvent pas du désordre, mais du rituel »

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Habitué aux déclarations assenées le visage impavide, le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, semble avoir souhaité frapper un grand coup en déclarant, sur le plateau du journal de 20 heures de TF1 le 25 janvier : « Oui, ils [les agriculteurs] souffrent et ils ont le droit de revendiquer. En tant que ministre de l’intérieur, et à la demande du président et du premier ministre, je les laisse faire. On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS»

Qu’importent l’incendie à Narbonne (Aude) du bâtiment de la Mutualité sociale agricole puis celui d’un magasin Carrefour, ou l’explosion soufflant le rez-de-chaussée de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement à Carcassonne, l’instruction de M. Darmanin transmise le 24 janvier aux préfets est sans ambiguïté : une « grande modération [est] attendue des forces de l’ordre ».

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Dans le contexte de ce qu’Olivier Fillieule et moi-même avions appelé, dans un ouvrage publié en 2020, Politiques du désordre. La police des manifestations en France (Seuil), la « brutalisation du maintien de l’ordre », ces propos sonnent comme un affront vis-à-vis des manifestantes et manifestants qui ces dernières années ont, pour les uns, perdu un œil, pour les autres, enduré des infirmités permanentes, voire perdu la vie.

Ce fut le cas à Marseille en décembre 2018, à Nantes à l’été 2019 ou à Marseille encore à l’été 2023, sans même rappeler d’autres manifestations du monde rural, telles que celles qui avaient pour objet de lutter contre l’implantation de mégabassines dans les Deux-Sèvres, en 2023, ou celle qui avait coûté la vie au jeune Rémi Fraisse lors d’un rassemblement en 2014 contre le barrage de Sivens, dans le Tarn.

La position de M. Darmanin a tôt fait d’être qualifiée, bassement, cela va s’en dire, d’électoraliste. Mais elle est en réalité bien plus que cela, en ce qu’elle est un rare moment de transparence et de sincérité dans la conduite des affaires publiques en France.

Aveu de réalisme

D’abord, elle rappelle qu’en matière de maintien de l’ordre police et gendarmerie sont forces de stricte exécution : c’est le pouvoir exécutif qui fixe le cadre, pose les règles et endosse la responsabilité. Le schéma national du maintien de l’ordre, adopté fin 2021, rappelle cet aspect : les préfets sont les responsables des opérations. Après le tragique épisode de Sivens, les gendarmes avaient en effet tenu à rappeler la stricte démarcation entre donneurs d’ordres et exécutants.

Ensuite, pour scandaleuse qu’elle apparaisse, la conception de M. Darmanin est aussi un aveu de réalisme. Les forces de l’ordre n’ont tout simplement pas les moyens de faire place nette lorsque des centaines d’engins sont engagés, les uns sur les routes, les autres aux abords des préfectures. Au mieux, elles peuvent se concentrer sur des points névralgiques, tel le marché international de Rungis (Val-de-Marne), en faisant appel aux moyens lourds que sont les véhicules blindés de la gendarmerie.

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