Les dispositifs perturbants du documentariste iranien Mehran Tamadon

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Mehran Tamadon à Paris, en juin 2022.

Peut-on créer du lien avec l’ennemi ? Se mettre en scène avec lui dans un documentaire, tout en réussissant à évacuer tout malentendu quant au positionnement du filmeur ? C’est la voie choisie par le Franco-Iranien Mehran Tamadon, né à Téhéran, en 1972, depuis son premier long-métrage, Bassidji (2010), du nom de ces jeunes miliciens qui combattirent aux côtés des troupes iraniennes lorsque le pays fut envahi par l’Irak – le conflit dura de 1980 à 1988. Plus tard, les bassidji réprimèrent durement le « mouvement vert » né de la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, en juin 2009.

Le cinéaste se lança dans une autre périlleuse aventure avec Iranien (2014) : durant deux jours, il convia dans la maison de sa mère, à Téhéran, quatre mollahs, afin de tenter une expérience de « vivre-ensemble ». Grand Prix du Cinéma du réel, à Paris, le film n’en a pas moins divisé la critique et le public. Cela valut 170 séances débats au réalisateur, assumant devant les spectateurs les limites du dispositif, tout en le revendiquant.

Dans un café de la proche banlieue parisienne, où il vit à présent, Mehran Tamadon résume ainsi sa démarche : « Je ne trouve pas intéressant de filmer des gens qui nous ressemblent, puis de montrer le film à d’autres gens qui nous ressemblent. Finalement, qu’est-ce qu’on vient bouger du réel ? », s’interroge le cinéaste, lunettes carrées et tête ronde. Il ajoute : « On fantasme l’autre, tant qu’on ne le voit pas. Cet autre, qui peut être l’ennemi, est toujours plus compliqué que ce que l’on imagine. » C’est en brisant ce fantasme, à travers la rencontre, que Tamadon espère tirer un fil.

« Sortir de l’entre-soi »

Ses deux nouveaux documentaires, tournés en France, inaugurent une nouvelle forme aussi perturbante : Tamadon propose à des Iraniens ayant subi la torture d’endosser le rôle de l’interrogateur-bourreau (Mon pire ennemi, en salle le 8 mai), et revisite avec d’autres le souvenir de leur détention (Là où Dieu n’est pas, le 15 mai) – tous deux sont produits par L’Atelier documentaire et Box Productions. Dans Mon pire ennemi, l’exercice part en vrille lorsque l’actrice et réalisatrice Zar Amir Ebrahimi se rebelle contre le dispositif. Mais Tamadon ne déteste pas perdre le contrôle dans ses films. « Parfois, dans Iranien, les mollahs me coincent, je reste démuni devant leur rhétorique. Cet échec est dur à vivre en tant qu’être humain, mais je le trouve très intéressant comme cinéaste. D’ailleurs, j’aurais pu couper ces moments au montage, mais je ne l’ai pas fait. »

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