Selon le juriste Alain Supiot, « le travail est quelque chose de plus grand que l’emploi (…). L’emploi est né de ce grand pacte, issu des luttes syndicales de l’ère industrielle, qui a consisté à échanger l’aliénation au travail, le renoncement à dire son mot sur la production, contre des limitations du temps de travail et de la sécurité physique et économique » − cet entretien a été publié par L’Humanité, le 11 mars 2016, à l’occasion de la nouvelle édition du rapport Au-delà de l’emploi, sous la direction d’Alain Supiot, parue chez Flammarion.
Le mouvement syndical peut dépasser ce stade en mettant au premier plan de ses exigences la réponse à deux questions de fond : « Qu’est-ce que l’on produit ? Et comment on le produit ? » Il s’agit de mobiliser les capacités d’innovation et d’apprentissage collectif pour sortir de la spirale : plus d’énergie, plus de matière pour plus de déchets, et sauvegarder le potentiel de la biosphère, premier garant de la santé sociale du genre humain.
Peut-on faire confiance au court-termisme des actionnaires aux yeux rivés sur leurs dividendes, aux champions de la financiarisation à la recherche de la liquidité, pour mettre en œuvre le renouveau industriel au cœur de cette logique ? Il s’agit d’une reconstruction, s’inscrivant dans le long terme des transitions énergétiques et écologiques indispensables. Une telle rupture de sens dans la gestion de l’économie appelle l’émergence d’une véritable citoyenneté dans l’entreprise, sans laquelle le « dialogue social » continuera à relever de l’incantation, du cosmétique ou de l’illusion.
Une « codétermination » à la française est à inventer. Elle appelle une redéfinition juridique, politique, démocratique, du concept d’entreprise induisant une révolution de sa gouvernance, associant enfin les salariés (et les territoires), très au-delà des timides premiers pas de la loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises de 2019]. Il s’agit d’étendre la sphère du droit social à la dimension sociétale de l’activité économique, au gré de la transformation de l’entreprise en un véritable bien collectif donnant tout son sens au concept de « parties prenantes ».
Une transition « juste »
Face aux conséquences désastreuses du réchauffement climatique, de nombreux acteurs syndicaux cherchent à mener de front défense des travailleurs, promotion de leurs droits et prise de position sur la planification des transitions. Des droits nouveaux sont absolument nécessaires pour qu’ils aient le pouvoir d’orienter et de valider les décisions, tant sur leur contenu que sur leur rythme. Cet objectif stratégique constitue une base fédératrice pour des démarches unitaires, dans le droit-fil de celles lancées depuis la mobilisation sociale unitaire du printemps 2023.
Il vous reste 56.17% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.