« Protégeons le jury populaire plutôt que le supprimer ! »

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Le 9 avril 2024, M. Eric Dupond-Moretti, garde des sceaux, était auditionné par la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier. Dans ce cadre, il annonçait qu’une réflexion était en cours, au ministère de la justice, visant à supprimer la participation du jury populaire pour juger les meurtres commis sur fond de trafic de stupéfiants.

Le jugement de tels crimes serait confié à une juridiction exclusivement composée de magistrats, et non plus à une cour d’assises classique composée de trois magistrats et six jurés. Le ministre de la justice a confirmé cette orientation, le 28 avril, dans un entretien à La Tribune Dimanche. A travers cette réforme, l’objectif poursuivi serait d’éviter que les jurés fassent l’objet de pressions ou de menaces de la part des trafiquants.

Pourtant, ce énième assaut contre le jury populaire serait une mauvaise nouvelle pour notre justice et notre démocratie, et ceci pour trois raisons. Premièrement, il faut rappeler que, depuis 1791, l’existence des jurés se justifie par la volonté d’associer le peuple au jugement des violations les plus graves du contrat social. Or, il est certain que le meurtre porte atteinte à l’une des valeurs les plus fondamentales de notre société : la vie humaine.

La vision d’une justice technocratique

Priver le peuple, incarné par les jurés, du droit de participer au jugement de ce crime revient symboliquement à sacrifier une institution démocratique sur l’autel d’une vision technocratique de la justice. Une telle évolution irait à rebours des conclusions contenues dans le rapport du comité des Etats généraux de la justice, qui constataient qu’un fossé s’était creusé entre la justice et les citoyens, et qu’il conviendrait urgemment de le combler.

Le comité insistait d’ailleurs sur le fait que « la participation de citoyens à l’œuvre de justice est primordiale et doit être préservée » (p. 199). Deuxièmement, malgré tous les bienfaits associés au jury criminel, cette réforme s’inscrirait dans une série de lois conduisant progressivement à sa disparition totale.

En effet, depuis la création, en 1986, des cours d’assises sans jurés pour juger les crimes terroristes, le principe de participation du jury a connu graduellement de profondes restrictions : la création par la loi du 16 décembre 1992 de cours d’assises sans jurés pour juger les crimes de trafic de stupéfiants ; la réduction par la loi du 10 août 2011 du nombre de jurés de neuf à six en première instance ; et, enfin, la généralisation, avec la loi du 22 décembre 2021, des cours criminelles départementales, qui devraient désormais juger 57 % des affaires criminelles sans le concours des jurés, selon l’étude d’impact du projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022.

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