pourquoi certaines décisions prises depuis les élections législatives sont attaquées

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Le premier ministre démisionnaire et député des Hauts-de-Seine Gabriel Attal, sur les bancs de l’Assemblée nationale, le 18 juillet 2024.

Quels sont les pouvoirs d’un gouvernement démissionnaire ? Alors que la nomination d’un nouveau premier ministre s’éternise, la question des prérogatives de Gabriel Attal et de son équipe, chargés d’expédier les affaires courantes, se pose avec de plus en plus d’acuité. Au moins deux recours ont été déposés pour contester la validité des décisions réglementaires ou des nominations prises par le gouvernement depuis sa défaite aux élections législatives, alors qu’aucun texte juridique n’encadre précisément cette situation exceptionnelle.

La question de la date effective de la démission du gouvernement

S’il est clair qu’un gouvernement ayant démissionné ne peut plus gérer que les affaires courantes, les avis divergent sur le moment où cette démission est juridiquement effective. Dans une note interne datant du 2 juillet, le secrétariat général du gouvernement a considéré que la période d’expédition des affaires courantes s’établissait à compter de l’acceptation par décret de la démission du gouvernement par le président de la République – le 16 juillet, dans le cas de Gabriel Attal.

Au contraire, certains professeurs de droit public, comme Julien Boudon (université Paris-Saclay) ou Benjamin Morel (Paris-Panthéon-Assas), s’appuient sur une jurisprudence de l’époque gaullienne pour affirmer qu’un gouvernement est considéré comme démissionnaire à partir du moment où le premier ministre remet sa lettre de démission au président de la République – ce qui ferait commencer les affaires courantes au 8 juillet.

Les décrets d’application de la loi « immigration », qui ont été publiés le 16 juillet, se situent dans cette période confuse entre plein exercice et affaires courantes, tout comme le très décrié décret sur les « vendanges sept jours sur sept ».

Des nominations vues comme des « abus de pouvoir »

Au-delà de cette question de date, certains remettent plus largement en cause la validité de nominations actées par le gouvernement Attal depuis la dissolution de l’Assemblée nationale.

Dès le 2 juillet, la députée du Rassemblement national Marine Le Pen avait alerté sur un « coup d’Etat administratif », dénonçant plusieurs nominations importantes qui auraient pour but « d’empêcher Jordan Bardella de gouverner le pays comme il le souhaite », alors que l’extrême droite espérait arriver en tête à l’issue du second tour des législatives. Le gouvernement venait de nommer, lors du conseil des ministres du 26 juin, un nouveau gouverneur militaire de Paris, un nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air, trois ambassadeurs et deux recteurs.

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, s’est aussi étonné, le 24 juillet, de « la récente série de nominations à des postes de direction au sein de l’administration centrale avec des dates de prise de fonction différées », comme le secrétaire général adjoint de la défense et de la sécurité nationale, « un collaborateur direct du premier ministre en matière de défense », qui prendra ses fonctions en septembre. Il a demandé au Conseil d’Etat d’examiner la régularité « des actes réglementaires qui excèdent manifestement à la fois les prérogatives du gouvernement et le cadre de la gestion des affaires courantes, constituant un abus de pouvoir ».

Là aussi, un flou existe sur les prérogatives d’un gouvernement démissionnaire en matière de nominations. Dans sa note, le secrétariat général du gouvernement estime qu’« il est admis » que les nominations « relèvent par principe de la catégorie des affaires courantes », pour assurer la « continuité de l’Etat » et éviter le blocage des administrations. En revanche, cela ne devrait pas concerner « les nominations les plus politiquement sensibles », comme les « directeurs d’administration centrale et autres emplois à la décision du gouvernement », « sauf cas particuliers justifiés par l’urgence ».

Cette ligne de partage peut s’avérer difficile à tracer dans la pratique. La CGT a ainsi dénoncé la nomination de Bérangère Couillard, ancienne ministre macroniste déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, battue aux législatives, à la tête du Haut Conseil à l’égalité, jugeant que « le gouvernement, en préparant ses valises, continue à ignorer le résultat des urnes et recase une ancienne ministre ».

Le Monde

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L’exécutif est aussi soupçonné d’avoir accéléré le rythme habituel des nominations, en publiant 790 décrets et arrêtés de nomination depuis le 9 juin et en attribuant plus de 70 postes le 16 juillet, jour de signature du décret présidentiel actant la démission du gouvernement Attal. « Il est logique que le Journal officiel du 17 juillet soit plus conséquent, le gouvernement a pris tous les actes réglementaires qu’il pouvait encore passer avant l’officialisation de sa démission », commente Marie-Julie Bernard, maîtresse de conférences en droit public à Sciences Po Grenoble, qui pointe une pratique courante avant les changements de gouvernement.

Certaines nominations militaires peuvent s’expliquer par le fait qu’Emmanuel Macron a trop laissé traîner ce « mercato » annuel, qui a généralement lieu avant la fin du printemps. Après la dissolution de l’Assemblée, la présidence a dû prendre en urgence ces décisions qui relèvent du fonctionnement habituel, ce qui leur a donné une tonalité inhabituellement politique.

Un risque d’irrégularité pour les ministres députés

L’élection à l’Assemblée nationale de dix-sept ministres démissionnaires, dont Gabriel Attal, soulève un autre problème, puisque l’article 23 de la Constitution interdit d’être à la fois membre du gouvernement et parlementaire. Le président de l’association de lutte contre la corruption Anticor, Paul Cassia, a ainsi contesté, le 18 juillet, devant le Conseil d’Etat un décret du 8 juillet modifiant l’allocation d’une taxe sur les étudiants, estimant que Gabriel Attal n’avait plus la compétence pour le signer depuis son élection comme député la veille.

« La base de la séparation des pouvoirs dans notre République, c’est que le législatif et l’exécutif sont incompatibles, soutient ce professeur de droit public. Il peut y avoir une petite exception dans le cas où un député est nommé au gouvernement, pendant un mois. Mais il n’existe pas d’exception dans le sens inverse dans le cas où un ministre est élu député : il y a un trou dans la raquette. » Si le Conseil d’Etat venait à acter cette incompatibilité, « cela voudrait dire que les ministres élus députés sont incompétents pour exercer une fonction ministérielle depuis le 7 juillet au soir », et que tous les décrets qu’ils ont pris depuis cette date seraient frappés de nullité, explique Paul Cassia.

Ce « sérieux problème de séparation des pouvoirs » est aussi dénoncé par le groupe écologiste à l’Assemblée nationale, qui a déposé, le 25 juillet, une requête devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir à propos d’un décret signé le 19 juillet par Gabriel Attal, autorisant l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) à mettre en œuvre un fichier regroupant des « données opérationnelles de cyberdéfense ».

« Le cumul des fonctions ministérielle et parlementaire rompt l’équilibre et la transparence nécessaires à une démocratie saine », déplore auprès du Monde Léa Balage El Mariky, la porte-parole des députés écologistes. Ces derniers ont demandé au Conseil d’Etat de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel afin de « sortir du flou » juridique posé par cette configuration inédite. La députée de Paris s’inquiète notamment de la façon dont l’extrême droite pourrait profiter de ces imprécisions si elle arrivait au pouvoir.

Pour ces deux saisines, les juges de la plus haute juridiction administrative pourraient mettre plusieurs semaines, voire des mois, avant de rendre une décision.

Depuis le 18 juillet, le rythme des décrets et arrêtés publiés par le gouvernement s’est réduit, comme le préconisait le secrétariat général du gouvernement. Cette administration qui dépend de Matignon alertait toutefois sur le fait que « l’édiction de mesures réglementaires ne [peut] être indéfiniment retardée », en raison des besoins de fonctionnement de l’Etat. Plus la nomination d’un premier ministre se fait attendre, plus le gouvernement démissionnaire pourrait être amené à prendre des décisions politiques. Ce qui pose un problème de responsabilité, car il ne peut plus être renversé par une motion de censure à l’Assemblée nationale.

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