« On constate une nouvelle demande en biens spirituels chez les consommateurs occidentaux »

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Fanny Charasse, à  Bruxelles, en septembre 2023.

Fanny Charrasse est chercheuse à l’université Saint-Louis de Bruxelles. Dans Le Retour du monde magique, publié en 2023 aux éditions La Découverte, la sociologue explore la résurgence des pratiques ésotériques, occultes et mystiques dans la société contemporaine.

Vous expliquez avoir eu plus de facilité à prendre au sérieux le chamanisme péruvien que le magnétisme en région parisienne. Le magique est-il toujours plus facile à concevoir ailleurs ?

Généralement, nous n’avons aucun mal à concevoir les pratiques magiques aux confins du monde. Cela s’accompagne souvent d’une forme de curiosité condescendante et, surtout, d’une mise à distance : ça ne nous concerne pas. Quand ces pratiques se rapprochent de nous, notamment des espaces urbains, il y a presque un enjeu de lutte pour la rationalité, cela rebat beaucoup de cartes. Si le magnétisme existait vraiment, cela pourrait alors remettre en cause la médecine conventionnelle, et même notre rapport à la vie et à la mort. Face à ce vertige, deux postures sont souvent adoptées : tomber dans l’éloge de l’efficacité de la pratique magique ou la réprimer en tant que superstition. J’ai opté pour une troisième voie. L’ambition de ce livre est d’expliquer sociologiquement ce phénomène. Je ne pouvais pas faire une enquête sérieuse sur le magnétisme et le magique en les réduisant à du folklore et des superstitions.

Certains consultent un magnétiseur pour guérir, d’autres s’immergent dans le folklore chamanique péruvien… Vous décrivez un « changement d’attitude à l’égard des pratiques magiques venues du passé ». Concrètement, quelle forme cela prend-il ?

Au Pérou, certaines agences de tourisme misent sur des circuits en immersion dans la culture chamanique authentique, sous-entendant qu’elle serait restée exactement la même qu’à ses prémices. Ce phénomène peut être interprété comme le symptôme d’un capitalisme tardif, où l’émergence d’une nouvelle demande en biens spirituels parmi les consommateurs occidentaux entraîne une offre croissante de pratiques indigènes recyclées en « produits ». Il est d’ailleurs déjà arrivé que des touristes se plaignent d’avoir entraperçu une télévision chez des chamans. Mais que ce soit la nouvelle génération de sorcières de Bucarest ou les chamans du Pérou, ces praticiens de la magie ont une vie ordinaire, sont pères ou mères de famille, ont un emploi, s’habillent comme nous. En voulant légitimer ou patrimonialiser le magique, on construit une authenticité faussée.

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L’un des exemples les plus significatifs du retour en force de l’ésotérisme est l’intégration du magnétisme dans certains protocoles de soins à l’hôpital, notamment en oncologie. Comment l’expliquez-vous ?

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