Le grand malaise des Palestiniens citoyens d’Israël

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Au sein de la petite foule qui se masse, mardi 14 mai, dans ce coin de campagne morne, à 20 kilomètres d’Haïfa, la troisième ville d’Israël, on se regarde avec un mélange de crainte et de fierté. En voici un, puis trois, puis dix, et ensuite on ne les compte plus : les drapeaux palestiniens. C’est la première fois depuis le 7 octobre 2023 que les participants, plusieurs milliers de personnes, finalement, sortent ces couleurs en public. Ils sont venus commémorer la Nakba (« catastrophe »), l’exode forcé des Palestiniens en 1948, lors de la création d’Israël.

Des membres de l’organisation Neturei Karta, lors de la commémoration de la Nakba, près de Shefa Amr, le 14 mai 2024. Neturei Karta International (NKI) est un groupe de militants juifs qui s’opposent à l’existence de l’Etat d’Israël et condamnent l’occupation de la Palestine.

La cérémonie a failli ne jamais avoir lieu. Depuis le massacre du 7 octobre 2023, perpétré par le Hamas, qui a fait 1 200 morts, en majorité civils, la composante palestinienne d’Israël – environ deux millions de personnes, soit 21 % de la population du pays – n’a jamais été autant perçue comme une « cinquième colonne », un réservoir de sympathisants du mouvement islamiste. La plupart des manifestations de solidarité avec les habitants de Gaza auxquelles les membres de cette communauté voulaient se joindre ont été interdites, ou rapidement dispersées.

Au terme de longues négociations avec la police, la commémoration, qui se tient traditionnellement le 15 mai, a été autorisée avec un jour d’avance, la faisant coïncider avec le jour de l’indépendance d’Israël. Elle se tient en lisière de Shefa Amr, ville à majorité arabe, dans le nord du pays. Il y a des champs de blé et un chemin sur lequel s’engagent les marcheurs et marcheuses avec leurs drapeaux et leurs chants, en direction d’Al-Hosha, un village détruit en 1948. Un des organisateurs de la manifestation soupire : « Tout a été tellement compliqué pour être autorisé à faire cette marche ici, loin des yeux et des oreilles que cela pourrait gêner. »

Au huitième mois de la guerre à Gaza, la peur d’une nouvelle Nakba hante les Palestiniens, ceux d’Israël comme des territoires occupés. Les craintes sont vives que l’idée de l’expulsion des habitants de l’enclave côtière, très populaire dans les milieux d’extrême droite, finisse par devenir réalité. Tandis qu’on sort des drapeaux palestiniens des coffres des voitures à Shefa Amr, 170 kilomètres plus au sud, en lisière de Gaza, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, un suprémaciste juif, plastronne : « Nous devons encourager la migration volontaire des Gazaouis. »

Appel à la grève

A Al-Hosha, Mohammed Barakeh, ex-dirigeant du parti d’extrême gauche Hadash, réunissant juifs et palestiniens, désormais à la tête du Haut Comité de suivi des intérêts des Arabes d’Israël, l’organisme qui défend les intérêts de la communauté, prend la parole sur une estrade. Dans son discours, il appelle à la grève générale pour obtenir l’arrêt de la guerre à Gaza, qui a causé la mort de plus de 35 000 Palestiniens, en majorité civils. Des tracts d’un mouvement de jeunesse anonyme circulent. Ils ont été les premiers à lancer l’appel à la grève. Leur ton est celui de la colère.

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