« L’attentat de Moscou ne dit rien du Tadjikistan mais beaucoup de la Russie »

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Depuis l’attentat meurtrier du 22 mars dans la banlieue de Moscou, les observateurs français ont semblé redécouvrir l’existence d’une mouvance islamiste en Asie centrale, faisant de cette région la nouvelle « tête de pont » de l’Etat islamique au Khorassan (EI-K) et du Tadjikistan l’épicentre des efforts de recrutement de cette organisation. Mais cette focalisation sur le pays d’origine des auteurs présumés de l’attaque tend à gommer le caractère interne de la menace terroriste sur le territoire russe : en réalité, l’attentat de Moscou ne dit rien du Tadjikistan, mais beaucoup de la Russie.

Projet djihadiste global, l’organisation Etat islamique (EI) s’est construite en opposition aux idéologies ethno-nationales, incarnées en Asie centrale par les talibans pachtouns d’Afghanistan, ou encore par les partis d’opposition islamiques au Tadjikistan et en Ouzbékistan. Alors que l’EI perdait son ancrage au Moyen-Orient, sa branche afghane, l’EI-K, se renforçait grâce au transfert de combattants issus de l’EI et l’arrivée de nouvelles recrues des communautés d’Asie centrale. Après avoir utilisé le russe comme langue de propagande pour tout l’espace postsoviétique, l’agence de communication de l’EI-K a développé des services dans les langues d’Asie centrale dans le but de consolider cet auditoire régional. Le dernier magazine tadjikophone de l’EI-K en date, Sadoi Khuroson (« le bruit du Khorassan »), a été lancé au début de 2024.

La Russie est de longue date dans le viseur des mouvements djihadistes, notamment depuis l’intervention militaire russe en Syrie en 2015, et surtout depuis le rapprochement de Moscou avec les talibans après leur retour au pouvoir en 2021. Bien que les récents attentats terroristes en Russie, mais également en Iran et en Turquie, aient été perpétrés par des migrants tadjiks et revendiqués par l’EI-K, il serait cependant inexact d’établir un lien direct entre migration tadjike et radicalisation, tant la proportion de Tadjiks ayant rejoint les rangs de l’EI entre 2013 et 2018 est faible (2 000 sur près de 2 millions d’émigrants originaires du Tadjikistan, soit 0,1 %).

Canaliser les griefs à l’égard de la Russie

L’adhésion au projet djihadiste de ces individus tadjiks venus en Russie peut en revanche s’expliquer par plusieurs facteurs structurels. En tant que pays d’accueil, la Russie offre aux recruteurs un environnement comparativement plus libre qu’au Tadjikistan, où les signes extérieurs d’appartenance religieuse sont bannis et les lieux de culte placés sous strict contrôle. Considérant la pratique religieuse comme une forme d’opposition politique, le régime tadjik ne permet pas à sa jeunesse d’accéder à un enseignement religieux, ni dans les mosquées officielles, dont la fréquentation est interdite aux mineurs depuis 2011, ni dans les écoles coraniques, toutes fermées en 2013, ni même dans les familles, du fait de l’influence encore très marquée de l’athéisme soviétique chez les générations ayant grandi au sein de l’URSS. Une fois en migration, cet illettrisme religieux les rend plus vulnérables aux manipulations idéologiques.

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