La CEDH condamne la France pour « traitements inhumains ou dégradants » à l’égard des harkis du camp de Bias

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Harki promenant un landau dans le camp de transit et de reclassement de Bias (Lot-et-Garonne), le 17 août 1975.

Les mains qui tremblent. De plus en plus fort. Le voilà à rafraîchir toutes les deux secondes la page du site Internet de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Jeudi 4 avril, à 10 heures pile, Charles Tamazount, 49 ans, lit un arrêt qu’il attendait depuis cinq ans. « C’est incroyable, justice nous est enfin rendue, dit-il humblement. On reconnaît enfin l’horreur de ce qu’on a vécu. » En effet, la CEDH vient de condamner la France pour avoir infligé, entre autres, à quatre enfants de harkis du camp de Bias (Lot-et-Garonne) des « traitements inhumains ou dégradants » (article 3 de la convention) et pour avoir manqué au « droit au respect de la vie privée » (article 8).

Cette décision a été prise à l’unanimité des sept juges ; même le représentant français ne s’est pas désolidarisé de ses collègues. Dans leur arrêt, ils ont constaté que « les conditions de vie quotidienne des résidents du camp de Bias, dont faisaient partie les requérants, n’étaient pas compatibles avec le respect de la dignité humaine et s’accompagnaient en outre d’atteintes aux libertés individuelles ».

Charles Tamazount, né au camp de Bias en 1974, redoutable juriste, président du Comité harkis et vérité, avait porté cette affaire en mars 2019 auprès de la CEDH pour ses trois frères (Abdelkader, Aissa, Brahim) et sa sœur (Zohra). Ces derniers ont alors accusé l’Etat d’avoir violé six articles de la Convention européenne des droits de l’homme lorsqu’ils ont vécu, de leur naissance à leur adolescence, derrière les barbelés du camp de Bias après la fin de la guerre d’Algérie (1962), pays que leurs parents ont fui pour avoir servi l’armée française.

Accès interdit à l’école de la République

Pour eux, la France a gravement manqué à ses devoirs en ne respectant pas leur droit à la vie, à leur intimité. Mais aussi en détournant le versement des allocations familiales de leurs parents pour faire fonctionner le camp, en leur interdisant l’accès à l’école de la République et, enfin, en les privant de tout procès équitable.

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D’ailleurs, dans son arrêt, la Cour, « maîtresse de la qualification juridique des faits, considère que l’attitude indigne des autorités nationales dénoncée par les requérants à l’égard de leurs besoins éducatifs est englobée par les questions posées sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention ». En clair, la juridiction établit que l’absence d’accès à l’école est de facto un « traitement inhumain ».

« Pour moi, cet arrêt constitue une injonction faite à la France de revoir intégralement son action, ainsi que ses modalités de reconnaissance et de réparation de la tragédie des harkis », souligne Charles Tamazount. Depuis une quinzaine d’années, ce haut fonctionnaire cherche à faire reconnaître le drame de ces combattants français devant les tribunaux et à obtenir pour eux – et leurs enfants – une véritable réparation financière « à la hauteur des horreurs et des traumatismes vécus », insiste-t-il. Pour comprendre son action devant la CEDH, il faut revenir une décennie en arrière.

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