Face au Green Deal, le retournement idéologique de la société allemande

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Des effigies du chancelier, Olaf Scholz, du ministre de l’économie et du climat, Robert Habeck, et de la ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, au dessus d’un panneau proclamant « Le fléau de notre pays », lors d’une manifestation d’agriculteurs allemands à la porte de Brandebourg, à Berlin, le 15 janvier 2024.

Jeudi 11 janvier. Depuis trois jours, les agriculteurs allemands multiplient les actions de terrain contre la décision du gouvernement, annoncée trois semaines plus tôt, de supprimer l’allègement fiscal sur le gazole non routier. Ce matin-là encore, alors que des tracteurs bloquent des autoroutes dans tout le pays, une ville fait la « une » des médias : Cottbus, à la frontière polonaise, où plus d’un millier de manifestants se sont donné rendez-vous, malgré le froid polaire, devant le nouvel atelier de maintenance de la Deutsche Bahn, que doit venir inaugurer le chancelier, Olaf Scholz.

A quelques mètres de l’entrée, un homme se démarque, avec son gilet vert et son chapeau marron. La cinquantaine joviale, il semble connaître tout le monde, à commencer par les journalistes de la presse régionale avec qui il enchaîne les interviews. Heiko Terno dirige une exploitation de 360 vaches laitières entre Cottbus et Berlin et est vice-président de la Fédération des agriculteurs du Brandebourg. Interrogé sur ce qu’il pense du gouvernement, sa réponse fuse : « Le gros problème, ce sont les Verts. Comment a-t-on pu leur confier le ministère de l’agriculture ? Ces gens-là ne connaissent rien à nos problèmes. Avec les sociaux-démocrates [le parti d’Olaf Scholz] ou les libéraux [celui du ministre des finances, Christian Lindner], on peut ne pas être d’accord, mais au moins on discute. Avec les Verts, c’est impossible, on a affaire à des idéologues totalement coupés de la réalité. »

En entendant parler politique, un vieil homme s’invite dans la conversation. Ouvrier textile à la retraite, il tenait à être là pour soutenir les agriculteurs. « Eux, c’est le prix du diesel, mais pour tout le monde, c’est pareil : on ne peut plus rien acheter ; depuis deux ans, tous les prix ont explosé. » Très vite, les coupables sont désignés : là encore, ce sont les Verts. « On avait du gaz pas cher mais sous prétexte qu’on l’achetait au méchant M. Poutine, ils ont fermé le robinet. On avait encore trois centrales nucléaires, mais comme ils ont décrété que le nucléaire est pire que Satan, on les a fermées au moment même où l’on risquait la pénurie d’électricité. Ces gens-là nous disent qu’ils veulent sauver la planète, mais en attendant, ils ruinent l’Allemagne et affament les Allemands. »

Les mots sont durs, mais ils traduisent un air du temps. Début 2021, le cercle de réflexion More in Common et l’institut de sondage Kantar avaient demandé à un échantillon représentatif de la population allemande : « Soutenez-vous le mouvement sociétal en faveur de la protection de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique ? » A l’époque, 68 % des personnes interrogées avaient répondu oui. Deux ans plus tard, en mai 2023, seuls 34 % des sondés ont répondu positivement à cette même question.

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