En quoi les Mirage 2000-5 promis par Emmanuel Macron peuvent-ils être utiles à l’armée ukrainienne ?

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Un Mirage 2000-5 de l’armée française.

Après les canons Caesar au début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, les blindés AMX-10 en janvier 2023, puis les missiles Scalp en juillet de la même année, la France a franchi une nouvelle étape dans son aide en promettant à Kiev un nombre pour le moment indéterminé de Mirage 2000-5, afin de renforcer ses capacités de défense aérienne, qui font notamment défaut dans la région de Kharkiv, deuxième ville du pays exposée au feu constant de l’aviation russe.

« Demain, nous allons lancer une nouvelle coopération et annoncer la cession de Mirage 2000-5 qui permettront à l’Ukraine de protéger son sol, son espace aérien », a annoncé, jeudi 6 juin, Emmanuel Macron. Le président de la République a promis le lancement simultané en France d’un programme de formation des pilotes, « facteur dimensionnant » du délai de mise en service des avions, qui devrait, selon lui, pouvoir être mené à bien avant la fin de l’année. Quant au nombre et à la provenance de ces appareils, les deux questions restent en suspens, mais une « coalition internationale », sur le modèle de celle qui s’est formée pour les F-16 de fabrication américaine, est en cours de constitution, a assuré le chef de l’Etat. « Je ne vous donnerai ni le nom des partenaires, ni un chiffre définitif (…) C’est plus efficace et ça donne moins de visibilité à l’adversaire », a-t-il ajouté le lendemain.

Quelle est la vocation du Mirage 2000-5 et quelles sont ses caractéristiques ?

Le Mirage 2000-5, évolution de son prédécesseur, le 2000C, est le plus vieil avion en service dans l’armée de l’air française. Utilisé depuis près de vingt-cinq ans, ce modèle est, certes, moins performant que le Rafale, voué à le remplacer d’ici à 2030, mais loin d’être obsolète. Il reste l’une des pièces essentielles de la défense du ciel français et des opérations extérieures, menées notamment sous l’égide de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Comme l’a suggéré Emmanuel Macron, sa vocation est donc celle d’un « nettoyeur du ciel », fonction qu’il a par exemple remplie en Syrie, en appui des Rafale impliqués en 2018 dans la mission Hamilton, conduite pour sanctionner l’usage d’armes chimiques de la part des forces fidèles au président syrien, Bachar Al-Assad. Il peut également être employé pour des missions d’attaque au sol, « déjà testées et mise en œuvre par d’autres nations possédant ce type d’appareils », selon l’armée de l’armée de l’air française, qui ne l’emploie toutefois pas à cette fin.

En matière de défense aérienne, son principal atout réside dans son Radar Doppler Multitarget, désigné sous l’acronyme RDY, qui permet la détection de 24 cibles, le pistage de nuit et le tir simultané de quatre missiles d’interception, de combat et d’autodéfense (MICA) d’une portée de 80 km sur autant de cibles distinctes. Le guidage peut s’effectuer en mode « Fox 3 », code de l’OTAN qui signifie que le missile, d’abord guidé par le radar de l’avion, « n’ouvre les yeux » à l’aide de son autodirecteur électromagnétique ou à infrarouge qu’une fois à proximité de sa cible pour se diriger lui-même. Ce n’est qu’à ce moment que le pilote de l’avion visé est averti qu’il a été « accroché », ce qui lui laisse peu de temps pour réagir.

Combien d’exemplaires sont-ils disponibles ?

L’armée de l’air française dispose de 26 exemplaires, qui suffisent à peine à répondre à ses besoins opérationnels et à ceux des missions internationales auxquelles ils contribuent. La majorité équipe l’escadron 1/2 Cigognes, basé à Luxeuil, en Haute-Saône, où l’un d’eux s’est écrasé en novembre 2022. Quatre autres se trouvent en permanence à Djibouti, en vertu d’un accord de défense, et une poignée participe régulièrement à la mission Enhanced Air Policing de l’OTAN, qui consiste à dissuader l’aviation russe de s’aventurer dans l’espace aérien euroatlantique. Quatre appareils ont ainsi été déployés en Lituanie en novembre et deux l’ont été en Suède en février.

Sachant qu’un escadron est constitué d’une vingtaine d’engins, en prélever sur le stock de celui de Luxeuil mettrait fin à son existence, tandis que les autres ne semblent pas moins essentiels. La coalition, dont Emmanuel Macron a annoncé jeudi la mise sur pied, aurait donc pour vocation d’en trouver à l’étranger. Soixante ont été livrés à Taïwan, où ils semblent tout aussi indispensables, du fait des tensions permanentes avec la Chine. La douzaine d’exemplaires qui équipe les forces qataries l’est manifestement moins, puisque l’émirat cherche en vain depuis plusieurs années à les céder à l’Indonésie. Les Emirats arabes unis en sont également dotés, tout comme la Grèce, qui cherche, elle aussi, à s’en défaire, comme l’a confirmé à la fin du mois de mars le ministre de la défense, Nikos Dendias, dans un entretien accordé à la presse.

Aucune piste n’a toutefois été évoquée mais le nombre restera, quoi qu’il en soit, très en deçà de celui des F-16. Cent onze Mirage 2000-5 ont été produits au total, selon Dassault, alors que 2 300 exemplaires de son concurrent américain sont en service dans 25 pays. « C’est la raison pour laquelle le modèle a été d’emblée privilégié par les autorités ukrainiennes et leurs alliés », rappelle Jean-Claude Allard, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques et spécialiste de l’aéronautique de l’armée de terre. Après l’autorisation de Washington, les Pays-Bas et le Danemark se sont engagés en août à livrer 61 F-16. La Norvège a suivi, puis la Belgique en a promis, le premier cette année et les autres d’ici à 2028. « Il s’est passé la même chose avec le char Leopard », non seulement en raison de la disponibilité, mais de questions d’intégration, poursuit l’expert. « La diversification des modèles entraîne la multiplication des chaînes logistiques et mobilise du personnel qui pourrait être utile à autre chose. Dans le cas du Mirage 2000-5, il s’agit d’un tout petit parc et on sait que les microparcs sont très difficiles à gérer, à entretenir, et monopolisent des effectifs », ajoute-t-il.

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Les Mirage correspondent-ils aux besoins de l’Ukraine ?

Quel que soit leur nombre, leur utilité n’est de toute façon pas garantie, estime Justin Bronk, expert des systèmes de défense et chercheur au Royal United Services Institute de Londres. La formation des pilotes, comme celle du personnel chargé de la maintenance – 160 à 280 personnes par escadron – ainsi que la mise en place des chaînes logistiques pourraient même nuire au déploiement des F-16, selon lui. C’est la raison pour laquelle la Suède vient, elle, de renoncer à fournir des chasseurs Gripen, pourtant mieux adaptés que les Mirage aux besoins de l’armée ukrainienne, explique le chercheur britannique, jugeant la décision française « un peu étrange », non seulement pour des questions de calendrier, mais aussi d’armement.

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« Ce dont l’aviation ukrainienne a le plus urgent besoin, c’est de la capacité à “engager” les avions de combat russes qui opèrent à 50, 60 ou 70 km derrière la ligne de front, à très haute altitude et à grande vitesse, estime Justine Bronk. Seuls les missiles à longue portée peuvent être réellement efficaces, or celle des MICA est nettement plus courte que celle de l’AIM-120 AMRAAM américain, dont les F-16 seront probablement équipés, qui n’est, elle-même, pas suffisante ».

« Pour approcher de la ligne de front et mettre les avions russes à portée, il faut voler très bas. Cela signifie que le missile entame sa course dans une atmosphère très dense et qu’il doit lutter contre la gravité », explique-t-il, précisant que la « no escape zone », c’est-à-dire la distance garantissant l’efficacité du tir, se situe, en règle générale, entre un tiers et un quart de la portée maximale.

« Cela ne veut pas dire que le Mirage 2000-5 ne peut pas jouer d’autres rôles, notamment pour abattre les drones russes, mais, compte tenu des contraintes financières, logistiques et humaines, je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée à l’heure actuelle », conclut Justin Bronk.

Le deuxième volet des annonces d’Emmanuel Macron, portant sur la formation en France de 4 500 militaires ukrainiens, soit l’équivalent d’une brigade, lui semble en revanche beaucoup plus convaincant : « Les formations dispensées jusqu’ici par les alliés de Kiev ont été réduites aussi bien dans le temps qu’en termes d’effectifs, ce qui a été l’un des facteurs limitant de la contre-offensive de l’été dernier. »

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