Cela fait huit ans que les Haïtiens n’ont pas été convoqués aux urnes. Les fonctions de maire, de parlementaire et même de président sont vacantes. La chaise du premier ministre par intérim, Ariel Henry, est, elle aussi, vide depuis que son retour a été entravé par des bandes armées. Contesté par les Haïtiens, Ariel Henry a finalement accepté de démissionner mardi 12 mars. Il a promis de se retirer « après l’installation d’un conseil » de transition dont les contours restent à déterminer.
Sa décision survient après une semaine d’état d’urgence dans l’île, en proie à des violences de groupes armés qui sèment la terreur dans le pays. Les hôpitaux ont été attaqués. Plusieurs milliers de détenus se sont évadés de prisons. Les bandes criminelles, qui contrôlent 80 % de la capitale, Port-au-Prince, s’en sont également prises aux routes menant au reste du territoire ainsi qu’aux commissariats et aux tribunaux. Le pays a même été menacé par un chef de gang, lors d’une interview à la presse, d’une « guerre civile qui conduira à un génocide » si le premier ministre, désormais bloqué à Porto Rico après un déplacement à l’étranger, remet les pieds sur l’île.
Ces événements sont probablement le « point d’orgue d’une évolution dont on peut remonter les origines à, au moins, une quarantaine d’années » pour Jean-Marie Dulix Théodat, maître de conférences à l’université Panthéon-Sorbonne Paris, responsable de recherche à l’Ecole normale supérieure de Port-au-Prince et à l’Université d’Etat d’Haïti. Il estime que la « transition vers la démocratie a été ratée ». Le chercheur Chalmers LaRose, codirecteur de l’Observatoire des Amériques de l’université du Québec à Montréal, y voit le « symptôme d’une très longue histoire d’exclusion d’une partie de la population dans les affaires économiques et politiques, accaparées par une élite coloniale qui continue de dominer. C’est pour ça que l’espace politique est devenu un terrain extrêmement violent ».
Ces quarante dernières années, la vie politique d’Haïti a été bousculée par des coups d’Etat, des ingérences étrangères, l’insurrection de l’armée et des élections truquées. Cette instabilité politique l’a « précipité dans le chaos » actuel, estime de son côté l’historienne Catherine Eve Roupert.
La milice des dictateurs Duvalier
Jusqu’en 1986, Haïti était gouverné par les membres de la famille Duvalier. Elle est arrivée au pouvoir en 1957, après des élections truquées, avec à sa tête François Duvalier, dit « Papa Doc ». A sa mort, en 1971, son fils, Jean-Claude Duvalier (1951-2014) – dit « Baby Doc » – a repris le pouvoir. Déjà, à cette époque, une force armée irrégulière exerçait des violences sur la population. Surnommée les « tontons macoutes », cette milice a fait au moins 30 000 morts, rappelle l’historienne.
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