« Du chemin reste à parcourir avant que la France ne dispose d’un système de santé publique fiable »

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Annonçant, le 20 mai, que le scandale du sang contaminé par le VIH avait provoqué plus de 3 000 morts et touché 30 000 personnes (hémophiles, personnes transfusées, toxicomanes), le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a déclaré que cette date marquait « un jour de honte » pour le Royaume-Uni. Lancée en 2017, l’enquête publique a en effet établi que la majeure partie de ces contaminations était « évitable » et que seules l’incurie du National Health Service et la dissimulation organisée par les pouvoirs publics, allant jusqu’à la destruction de documents compromettants, pouvaient expliquer un tel désastre sanitaire et moral.

Ces révélations sonnent étrangement dans un pays, le nôtre, qui a connu un séisme comparable trente ans plus tôt, et qui a toujours considéré le système de santé publique britannique comme un modèle. Quelques rappels factuels et historiques permettront de resituer cet événement.

Impéritie médicale française

Révélée par Anne-Marie Casteret (L’Evénement du jeudi, 25 avril 1991), l’affaire du sang contaminé fut, en France, d’abord et avant tout celle de la contamination des hémophiles. Pas en raison des conséquences sanitaires : avec, en 1995, 7,76 % d’hémophiles atteints par le sida, contre 8,03 % au Royaume-Uni et 7,20 % dans l’ensemble de la Communauté européenne (CE) de l’époque, notre pays ne se singularisait guère. Mais la découverte de la décision du Centre national de la transfusion sanguine d’écouler des facteurs antihémophiliques contaminés « jusqu’à épuisement des stocks » signa une insupportable faillite morale qu’établit le rapport de Michel Lucas, chef de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS), en septembre 1991.

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Médiatique puis politique, la crise fut à la hauteur de l’émotion, considérable, du discrédit du pouvoir mitterrandien finissant ; profonde et très grave, elle déboucha sur la traduction devant la Cour de justice de la République du premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, de sa ministre des affaires sociales, Georgina Dufoix, et du secrétaire d’Etat à la santé, Edmond Hervé. Cet ébranlement politique et institutionnel ne pouvait être justifié par des retards caractérisés dans les prises de décision.

Ainsi, en dépit de la rivalité franco-américaine d’alors, celle entre Robert Gallo et Luc Montagnier pour la primauté de la découverte du VIH, mais aussi celle entre les laboratoires Abbott et Diagnostics Pasteur pour la commercialisation des tests de dépistage biologique du VIH, ceux-ci furent systématisés en France sur les dons du sang le 1er août 1985 et seulement le 1er octobre 1985 au Royaume-Uni ; quant au chauffage des produits antihémophiliques, il fut généralisé le 1er octobre de cette même année. C’est néanmoins vers l’Etat et ceux qui l’incarnaient alors que les citoyens, la presse et la justice se sont tournés chez nous. Rien de tel au Royaume-Uni, nation modelée par le libéralisme, où il aura fallu attendre quarante ans après les faits pour voir le système britannique mis en cause.

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