Dans « CE2 », le film de Jacques Doillon, questions autour du casting des enfants

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Devant la caméra se tient assise une fillette de 8 ans, pull blanc et cheveux noirs mi-longs, intimidée. Face à elle, invisible sur cet enregistrement vidéo daté du 29 janvier 2020, la directrice de casting la lance sur la thématique du harcèlement à l’école : « Raconte-moi quand tu dis que tu connais, demande la professionnelle du cinéma.

Le harcèlement scolaire, c’est pas très sympa, répond la fillette. Souvent on est humiliés, on perd des amis. Parce que ceux qui te harcèlent peuvent faire croire que tu es une méchante (…).

– Toi, ça t’est déjà arrivé ?

Oui. Du harcèlement sexuel.

Tu peux me raconter ?

J’ai pas trop envie.

C’était à l’école ?

Oui, mais j’ai pas trop envie d’en parler.

Je me permets d’insister un tout petit peu parce que c’est exactement ce qui arrive aux personnages du film.

D’accord. Du harcèlement sexuel ?

Toi ça se passe à l’école ?

Oui, il y a une fille, elle était assez agressive. Mais j’ai pas envie d’en parler.

Dis-moi pourquoi.

Parce que c’était une phase très difficile pour moi. »

« Comment elle était méchante avec toi ? »

Malgré les pleurs ravalés de l’enfant, la directrice de casting relance : « C’était l’année dernière ?

Oui.

– Mais tu sais, des fois, ça fait du bien d’en parler pour s’en débarrasser. »

Après un long silence, l’écolière implore : « Je ne veux pas du tout en parler. S’il vous plaît. » Consciente du trouble, la directrice de casting élargit la discussion sur le phénomène du harcèlement. Mais, trois minutes plus tard, elle revient sur l’expérience personnelle de l’enfant avec « cette fille de l’année dernière » : « Comment elle était méchante avec toi ? Et personne ne le voyait dans la classe ? » La petite non-comédienne finit par raconter qu’elle était menacée par sa camarade, avant de se livrer à un long exercice d’improvisation, pendant lequel on la voit se tordre sur sa chaise, la voix éteinte, contenir quelques larmes et demander un verre d’eau pour se reprendre.

Cette vidéo troublante interroge, parce que la volonté de l’enfant ne semble pas y avoir été respectée. Elle est extraite des essais réalisés auprès d’enfants de 7 ou 8 ans pour le casting du film CE2 de Jacques Doillon, soit plusieurs heures d’enregistrement datant de début 2020, auxquelles Le Monde a eu accès. Leur visionnage brut interroge sur la façon dont le secteur du cinéma peut aborder des mineurs parfois très jeunes et vulnérables, forcément impressionnés par le dispositif déployé autour d’eux et les promesses d’une industrie qui brille. Quelle place garantit-on à leur consentement et à leur intimité ? Comment éviter d’exercer sur eux des violences psychologiques ?

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