« Avec les derniers vétérans de D-Day s’éteint une certaine idée du rôle de l’Amérique »

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Les médias américains ont relayé ces derniers jours l’image touchante d’une armada de fauteuils roulants traversant les aéroports des Etats-Unis sous les applaudissements pour s’envoler vers la Normandie : ce sont les derniers survivants du Débarquement du 6 juin 1944. Si la ferveur du public qui les acclame n’est pas feinte, c’est que tout le monde devine, en 2024, que ce 80e anniversaire est l’un des derniers auxquels on peut encore espérer la présence des héros de la seconde guerre mondiale. Peut-être a-t-on conscience aussi qu’avec eux s’éteint une certaine idée de l’Amérique.

Il faut remonter le fil de ces commémorations du D-Day, rythmé par chaque décennie, pour comprendre l’évolution du leadership des Etats-Unis depuis cet événement fondateur de la relation transatlantique. Chaque président américain a marqué cette évolution à sa manière, sans jamais l’entraver.

C’est incontestablement Ronald Reagan qui a laissé l’empreinte la plus flamboyante, pour le 40e anniversaire, en 1984, en pleine guerre froide, par un discours à la pointe du Hoc qui fait encore vibrer les historiens. Reagan n’était pas acteur pour rien ; il avait su saisir la dimension héroïque et politique de cette falaise prise par les rangers américains pour neutraliser une batterie d’artillerie allemande tournée vers les plages du Débarquement. C’est l’endroit qu’il choisit pour exalter l’esprit libérateur de la démocratie américaine et la solidité du lien transatlantique, à un moment de tension avec l’Union soviétique (URSS). « Nous étions alors avec vous, lance Reagan. Nous sommes toujours avec vous. Vos espoirs sont nos espoirs, votre destin est notre destin. »

En 1994, un rôle encore mal défini

Dix ans plus tard, en 1994, le monde a changé, Washington aussi. L’URSS s’est effondrée, la guerre froide est finie. Premier président des Etats-Unis né après la guerre, Bill Clinton est de ces baby-boomeurs qui ont évité de servir au Vietnam ; il choisit lui aussi la pointe du Hoc pour tenter de redorer son blason en rendant hommage à l’honneur des GI. Mais il ne cherche pas à glorifier le leadership américain sur la scène mondiale, même si, dans le Washington Post le même jour, le chroniqueur George Will souligne que « la bataille de Normandie installa les Etats-Unis dans leur rôle de leader du monde occidental ».

Le rôle de la puissance américaine dans ce monde naissant de l’après-guerre froide est encore mal défini et Bill Clinton lui-même exprime plus d’interrogations que de certitudes. Le douloureux dossier bosniaque divise l’Europe et les Etats-Unis. Washington essaie de faire comprendre aux Européens que « la Bosnie n’est pas un problème américain », selon les mots d’un haut responsable, alors que les Européens n’ont de cesse de vouloir y impliquer les Etats-Unis – ce que le président Jacques Chirac finira par obtenir.

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