Au procès de l’ex-président du Honduras, l’influence du trafic de drogue sur l’accès au pouvoir

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Une esquisse d’audience montre l’ancien président du Honduras Juan Orlando Hernandez assis entre ses avocats, devant le juge, alors qu’il comparaît pour trafic de drogue à New York, aux États-Unis, depuis le 20 février 2024.

Le procès pour trafic international de drogue de l’ex-président du Honduras, Juan Orlando Hernandez, qui a commencé mardi 20 février à New York, dévoile à quoi pourraient ressembler les dessous du pouvoir dans cet Etat d’Amérique centrale.

Juan Orlando Hernandez, surnommé JOH, extradé du Honduras aux Etats-Unis à la fin de sa présidence (2014-2022), est jugé au tribunal fédéral de Manhattan pour la contrebande de 500 tonnes de cocaïne entre 2004 et 2022. En échange, selon les procureurs new-yorkais, JOH aurait reçu des millions de dollars de pots-de-vin des cartels de la drogue, notamment du célèbre narcotrafiquant mexicain Joaquin « El Chapo » Guzman, condamné à la perpétuité par la justice américaine en 2019 et incarcéré dans une prison de haute sécurité.

A la barre du tribunal, jeudi, un témoin à charge, l’ex-maire d’El Paraiso de Copan, une petite ville hondurienne, Alexander Ardon, a expliqué comment l’argent du trafic de drogue permettait d’acheter des voix pour remporter des mairies, des sièges au Congrès national (Parlement) et même la présidence du Honduras.

Il risque la prison à perpétuité

M. Ardon, ancien bras droit de Guzman et déjà condamné aux États-Unis, a dit avoir rencontré vers 2008 Porfirio Lobo, qui n’était pas encore président du Honduras et qui lui aurait demandé « deux millions de dollars » en échange d’une protection. « Je lui ai envoyé un million chez lui » après cette réunion puis le reste ultérieurement, selon ce témoin.

« Don Pepe [Porfirio Lobo] m’a dit que s’il gagnait les élections, il nommerait Juan Orlando président du Congrès », ce qui fut le cas de 2010 à 2014. M. Lobo a été président du pays de 2010 à 2014 et M. Hernandez lui a succédé de 2014 à 2022. M. Ardon a expliqué avoir obtenu à l’époque des voix de députés en faveur de Hernandez en « finançant une partie de [leur] campagne (…) avec l’argent du trafic de drogue ».

Pour ce procès plusieurs fois reporté depuis son extradition, Juan Orlando Hernandez, 55 ans, comparaît détenu et seul dans le prétoire puisque ses deux coaccusés, l’ex-chef de la police hondurienne Juan Carlos « Tigre » Bonilla et un ancien policier, Mauricio Hernandez, ont plaidé coupable afin de coopérer avec la justice et échapper au procès.

S’il est reconnu coupable des trois chefs d’accusation – association de malfaiteurs en vue du trafic de stupéfiants, trafic et possession d’armes –, M. Hernandez pourrait être condamné à la prison à perpétuité, comme son frère Tony Hernandez en 2021 et le collaborateur de ce dernier, Geovanny Fuentes, impliqués dans le même réseau.

« Voici votre narco-président »

Devant le palais de justice à New York, un groupe d’une vingtaine de Honduriens ont manifesté, mardi à l’ouverture du procès, pour demander que l’ancien chef d’Etat finisse ses jours derrière les barreaux. « Voici votre narco-président », ont-ils scandé.

Juan Orlando Hernandez se dit « innocent » et a plusieurs fois affirmé qu’il était victime d’une « vengeance des cartels, un complot orchestré pour qu’aucun gouvernement ne leur résiste plus jamais ». Une thèse qu’il a de nouveau soutenue dans un texte posté lundi par son épouse, Ana Garcia, sur la plate-forme X. Dans ce message à l’adresse du peuple hondurien, il qualifie les accusations d’« injustes » et « remplies de mensonges sur la base de témoignages de narcotrafiquants déclarés » qui veulent obtenir la clémence de la justice américaine.

Quand il était président, il avait étroitement collaboré avec l’administration de l’ancien président américain Donald Trump, s’attirant les éloges de Washington pour des saisies de drogue et la lutte contre le crime organisé. Pour les procureurs fédéraux américains, JOH était en fait devenu un trafiquant de drogue et avait transformé son petit pays d’Amérique centrale en un « narco-Etat » avec l’aide de militaires, policiers et civils.

Des personnes manifestent devant le tribunal fédéral de Manhattan, à New York, le 20 février 2024, au jour de l’ouverture du procès pour trafic de drogue de l’ancien président du Honduras, Juan Orlando Hernandez.

Son ordonnance d’inculpation à New York l’accuse aussi de s’être enrichi avec l’argent de la drogue, d’avoir financé ses campagnes électorales et de s’être livré à de la fraude lors des élections de 2013 et 2017. Une condamnation le ferait rejoindre d’autres anciens dirigeants latino-américains jugés et reconnus coupables aux Etats-Unis, comme le Panaméen Manuel Noriega en 1992 et le Guatémaltèque Alfonso Portillo en 2014. En 2023, l’ancien responsable mexicain de la lutte antidrogue, l’ex-ministre Genaro Garcia Luna, avait été jugé coupable à New York de trafic de stupéfiants. Sa peine de prison sera prononcée le 24 juin.

Le Monde avec AFP



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