Au procès de l’attentat de Strasbourg, ces héros anonymes qui ont tenté d’arrêter le terroriste

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Elles sont venues une à une, enveloppées dans leur infinie solitude, déposer leur souffrance devant la cour d’assises spéciale de Paris. L’une après l’autre, elles se sont accrochées à la barre, comme des naufragés, espérant recoller avec des mots ce qui pouvait l’être d’une vie brisée. Durant quatre jours, entre le vendredi 8 et le mercredi 13 mars, une soixantaine de parties civiles de l’attentat du marché de Noël de Strasbourg, qui a fait cinq morts et onze blessés physiques, le 11 décembre 2018, ont partagé leur existence fracassée.

Elles y ont dit la douleur, la mort, le deuil, les traumatismes et les blessures, en un mot la perte. La perte d’un proche ou de la personne qu’elles étaient avant. Mais on a aussi entendu, durant ces quatre jours, par-delà l’impuissance et le sentiment de culpabilité qui ronge les survivants, le récit de gestes qui sauvent. Au milieu de cette nuée de tragédies absurdes, les circonstances ont parfois conduit des anonymes à jouer un rôle actif dans le drame qui les a percutés.

« Un cri qu’on ne peut pas oublier »

Damien (qui souhaite garder l’anonymat) s’approche de la barre en claudiquant. Ce grand jeune homme à la silhouette dégingandée garde de lourdes séquelles de son corps-à-corps avec la mort. Ce soir-là, il discutait avec deux membres de son groupe de musique devant le bar Les Savons d’Hélène quand il a entendu plusieurs détonations. Un de ses amis tombe alors au sol, atteint par une balle en pleine tête. Tétanisé, Damien s’effondre à son tour.

« J’entends alors un hurlement… Un cri qu’on ne peut pas oublier [celui de son ami]. Ce cri modifie mon état, je comprends qu’il faut que je me lève et que je combatte pour survivre, raconte-t-il. Mais j’ai perdu mes lunettes, je ne vois rien. J’y vais quand même, je le désarme, mais je ne suis pas conscient qu’il a aussi un couteau… » Pour se dégager de son emprise, le terroriste poignarde le musicien à dix reprises dans le dos, dont une fois dans la moelle épinière.

Dans son acte de bravoure, Damien a perdu une partie de la motricité d’une jambe. Il a découvert le monde du handicap, les problèmes d’accès pour les « personnes à mobilité réduites », les regards dans la rue, les toilettes réservées… « J’ai changé de vie, dit-il pudiquement. Je reste musicien, mais il m’est devenu insupportable de retourner sur scène. Je préfère être loin des gens pour panser mes blessures tranquillement… »

« Un film que je n’ai pas choisi de tourner »

Un homme au crâne dégarni se présente à la barre. « Je m’appelle Mostafa Salhane. Je suis le chauffeur de taxi qui a été pris en otage. » Quelques minutes après s’être battu avec Damien, le terroriste, Cherif Chekatt, s’est engouffré dans un taxi pour prendre la fuite. Dans son rétroviseur, Mostafa Salhane a tout de suite aperçu sa main dissimulée dans sa doudoune : « J’ai travaillé vingt ans comme physionomiste. Celui-là, je me dis tout de suite que ça va mal se passer. »

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