« A force, on ne se demande pas qui va avoir un cancer, mais quand ce sera notre tour »

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Robert Oppenheimer et le général Leslie Groves, dans le désert Jornada del Muerto (Etat du Nouveau-Mexique), le 16 juillet 1945, jour de l’explosion.

Récompensé par plusieurs Oscars en mars 2024, le film Oppenheimer, de Christopher Nolan, a remis sur le devant de la scène l’histoire du projet Manhattan. Le 16 juillet 1945, l’équipe de J. Robert Oppenheimer mène à bien le confidentiel essai Trinity, développé dans les laboratoires de Los Alamos. A 5 h 29, une bombe atomique explose à White Sands, à 300 kilomètres au sud de Los Alamos, dans une région du Nouveau-Mexique dépeinte par les autorités comme isolée et inhabitée.

La réalité est tout autre. Des milliers de personnes, majoritairement hispaniques et amérindiennes, ont été affectées par les cendres et les particules radioactives. Soixante-dix-neuf ans plus tard, ceux qu’on nomme les « downwinders » n’ont toujours pas été reconnus comme victimes ni éligibles à une compensation financière. Mais cela pourrait être sur le point de changer.

Le 7 juin, la loi sur l’indemnisation de l’exposition aux radiations (RECA), adoptée en 1990, qui prévoyait jusqu’à présent une indemnisation des personnes exposées aux radiations issues des essais d’armes nucléaires et de l’exploitation minière de l’uranium, pourrait être reconduite et surtout étendue, pour la première fois, aux downwinders du Nouveau-Mexique, mais aussi de l’Idaho, du Montana, du Colorado, de l’île de Guam et inclure également de nouvelles zones du Nevada, de l’Utah et de l’Arizona. Des régions qui avaient été mystérieusement exclues de la première version de la loi.

Plus de mille témoignages

C’est peu dire que Tina Cordova attend ce moment avec impatience. Fondatrice en 2006 de l’association Tularosa Basin Downwinders Consortium, cette militante de 64 ans se bat pour réussir à mettre en lumière l’impact de l’explosion de la bombe de Trinity sur la santé mentale et physique des habitants de la région. Dans sa famille, le cancer a frappé avec la régularité d’un métronome.

Dans un Starbucks d’Albuquerque, à 193 kilomètres du site de Trinity, entre deux gorgées de café, Tina fait le décompte : son père, sa grand-mère, d’innombrables cousins et oncles et elle-même, qui a survécu à un cancer de la thyroïde. « Mon père ne fumait pas, buvait rarement et ne présentait aucun facteur de risque, souligne-t-elle. En 1945, il avait 4 ans et habitait à 72 kilomètres du site de l’explosion, dans un lieu où il n’y avait ni eau courante ni électricité. Leur eau provenait d’un puits qui avait été contaminé. Les fruits et légumes qui poussaient dans le sol ont, eux aussi, été contaminés. » Son père a été diagnostiqué d’un cancer de la prostate et de deux cancers de la langue, dont le dernier lui a été fatal. « A force, on ne se demande pas qui va avoir un cancer, mais quand ce sera notre tour », résume Tina Cordova.

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