Du procès d’Aix, en 1978, à celui des viols de Mazan, « la honte a changé de camp »

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L’avocate Agnès Fichot, à Paris, le 5 octobre 2024.

Agnès Fichot se souviendra toujours de ce jour de 1977 où, diplômée depuis à peine trois ans, elle décrocha son téléphone pour appeler le cabinet de Gisèle Halimi, l’avocate la plus célèbre de France. La démarche lui semblait naturelle : elle voulait travailler avec elle, c’était aussi simple que cela. Elle savait son courage, son talent, son audace. Elle admirait sa volonté de provoquer de grands débats de société pour faire évoluer la culture et les mœurs, et pourquoi pas la loi. Et s’il y avait quelqu’un qui incarnait la cause des femmes, c’était bien elle, toute en passion et en engagement. Elle qui avait sauvé la vie de la jeune militante du FLN Djamila Boupacha, en dénonçant la torture et le viol pendant la guerre d’Algérie. Elle qui avait signé en 1971 le Manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté, malgré les risques encourus. Elle qui avait fait du procès de Bobigny, en 1972, le grand procès de l’avortement, et pavé la voie de la loi Veil qui, deux ans plus tard, le légaliserait. Bref, c’est auprès de cette avocate frondeuse qu’elle voulait exercer son métier. Et personne d’autre.

La conversation fut cordiale, la voix au bout du fil enjôleuse mais pressée. Agnès Fichot, 28 ans, évoqua son premier stage chez un ténor du barreau, Albert Naud, ancien résistant et grand adversaire de la peine de mort, à laquelle il avait consacré un livre. Puis elle expliqua sa résolution à travailler sur les grands sujets liés aux femmes. Ce ne fut pas suffisant pour lui obtenir un rendez-vous, mais la porte, toutefois, n’était pas fermée. Alors, quelques semaines plus tard, la jeune femme rappela l’avocate. Elle insista, discuta. Cette fois, Gisèle Halimi la pria de venir la rencontrer à son cabinet de la rue Saint-Dominique. Et là…

« C’est drôle, raconte-t-elle aujourd’hui dans son bureau du boulevard Saint-Germain, à Paris, je la vois encore descendre l’escalier de son appartement, vêtue d’une de ses robes si fluides qui signaient son allure. Elle s’installe sur son fauteuil en tapisserie, me fait signe de m’asseoir en face d’elle. Et nous parlons. Longtemps, librement. » Gisèle Halimi évoque le lien fort qui l’unit à son père, pourtant macho, méditerranéen et de culture traditionnelle. Agnès Fichot y trouve une similitude avec le sien, chef de famille classique, dominant son épouse qu’il cantonne au foyer, mais soucieux que ses deux filles, elles, gagnent leur autonomie financière.

Le courage d’un procès public

Gisèle Halimi parle de ses origines modestes à La Goulette, en Tunisie, où elle est née en 1927, sa répulsion viscérale pour l’injustice et sa soif de défendre les femmes comme pour se défendre elle-même. Agnès Fichot, élevée, elle, en banlieue parisienne, se sent en communion de pensées. Et puis elle aime « son élégance, sa culture, son goût du mot juste, sa féminité assumée »… Gisèle Halimi, 50 ans, comprend que sa jeune consœur féministe à l’allure d’étudiante est prête à travailler ses dossiers jour et nuit. Elle l’engage sur-le-champ. D’ailleurs, cette nouvelle collaboratrice tombe à point : un procès exemplaire se profile à Aix-en-Provence au mois de mai 1978 dont l’avocate entend faire « le grand procès du viol ».

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