Coup de froid diplomatique entre Madagascar et l’Union européenne

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L’ambassadrice européenne Isabelle Delattre Burger et la ministre des affaires étrangères malgache, Rafaravavitafika Rasata, le 26 janvier 2024 à Antananarivo.

Les déclarations cinglantes de l’ambassadrice européenne, Isabelle Delattre Burger, sur la loi introduisant la castration chirurgicale pour les violeurs d’enfants adoptée fin février par Madagascar ont été considérées comme la critique de trop par les autorités d’Antananarivo. Son rappel a été demandé à Bruxelles.

« Le haut représentant de l’Union [Josep Borell] a reçu une lettre pour exprimer le mécontentement de Madagascar au sujet de la conférence de presse [tenue par Mme Delattre Burger] et demander à l’UE de procéder à son remplacement. Le Service européen d’action extérieure, en consultation avec le gouvernement malgache, examine actuellement cette demande », a confirmé, jeudi 4 avril, un porte-parole de la Commission européenne. « Il convient de noter que l’exercice annuel de rotation des chefs de délégation a lieu en septembre. Le processus est en cours et aucune autre information ne peut être fournie à ce stade », ajoute Bruxelles pour temporiser.

Le 26 février, la représentante de l’Union européenne (UE), en poste depuis presque deux ans à Antananarivo, s’était offusquée devant la presse d’une loi contraire à la Constitution malgache et aux engagements pris sur le plan international par le pays. « Le viol est un crime, mais il faut le combattre par tous les moyens dignes de ce nom. Je ne pense pas que la castration chimique ou que la castration tout court soit une solution dissuasive pour les violeurs », avait-elle déclaré. Convoquée dans la foulée par la nouvelle cheffe de la diplomatie malgache, Rafaravavitafika Rasata, son éventuel départ n’avait pas été abordé lors de l’entretien.

« A fonds perdu »

La loi sur la castration n’est toutefois qu’un des sujets de frictions entre l’UE et Madagascar depuis la réélection d’Andry Rajoelina en novembre 2023 à l’issue d’un scrutin boycotté par l’opposition. Si, jusqu’à l’élection, l’ambassadrice – avec d’autres représentants du corps diplomatique à Madagascar – avait toujours pris soin en public de s’exprimer avec une certaine retenue dans ses critiques à l’encontre du processus électoral, en se gardant notamment d’appuyer la demande de report voulue par l’opposition, elle avait récemment mis moins de filtres à ses propos.

Lors de la conférence de presse du 26 février, elle avait ainsi une nouvelle fois regretté que les autorités n’aient toujours pas suivi les recommandations formulées par la mission d’observation de l’UE depuis le précédent scrutin présidentiel de 2018 pour garantir une consultation transparente et fiable. Une flèche visant le pouvoir à deux mois des élections législatives.

La diplomate avait également critiqué la gestion des deniers publics dans le secteur des routes. Un sujet hautement sensible vu l’état de délabrement du réseau national. « C’est beau de construire des routes, mais nous en tant que partenaires qui avons contribué à améliorer le réseau, nous sommes frustrés de voir que le fond d’entretien routier n’a pas les moyens de les entretenir. Une route ne doit pas durer cinq ans mais quinze. Tout cela n’aiguise pas l’appétit des partenaires pour mettre à nouveau des centaines de millions d’euros sur la table. C’est à fonds perdu », avait-elle constaté.

Détournements de fonds Covid

Le détournement des fonds octroyés pour lutter contre la pandémie de Covid-19 pointé par un rapport d’audit de la Cour des comptes malgache de 2022 figure aussi sur la liste des contentieux non résolus.

En 2022, l’UE était le deuxième bailleur bilatéral de Madagascar derrière les Etats-Unis avec 117 millions de dollars (107 millions d’euros) versés, selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Au total, l’aide publique au développement assure près de 70 % des investissements de l’Etat.

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Quoi qu’il en soit, la demande de rappel de l’ambassadrice européenne sonne comme un avertissement à l’égard des partenaires qui s’aviseraient de critiquer trop ouvertement les choix et les pratiques du régime.

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