« La fin de vie est un dilemme devant lequel la morale est impuissante »

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Quand le mot « euthanasie » apparaît au début des temps modernes, il désigne une pratique médicale qui s’efforce par tous les moyens possibles d’abréger les souffrances d’un patient à l’agonie afin de l’accompagner dans la mort. C’est-à-dire une aide à mourir et en même temps, confusément, une aide à bien mourir, dignement. La difficulté ne semble pas si grande au premier coup d’œil. Et cela fait deux ou trois décennies qu’on lance et relance de grands débats nationaux sur la fin de vie. Mais il se peut qu’il n’y ait pas lieu à débat. A moins de piper le jeu. Il ne suffit pas de se prononcer pour ou contre le suicide assisté ou l’euthanasie d’Etat pour entrer dans un débat.

S’indigner au nom de grands principes, qu’est-ce d’autre sinon user d’autorité et, par paresse, se dispenser de donner des arguments ? La question est si mêlée et délicate qu’on ne peut se la poser honnêtement qu’en reculant devant le mystère qu’elle enveloppe. Car les nombreuses contradictions qu’elle soulève dérivent de l’ambiguïté de notre propre rapport à la mort, à la fois crainte et désirée. Et nul n’y échappe.

Si le guerrier vient à mourir au combat et, ainsi, « à combler le destin de sa vie » (Iliade, chant IV, v. 104), saurons-nous jamais s’il n’a pas un peu aidé le destin en bravant l’épée qui le frappe ? Quant au chrétien qui se retient de précipiter l’heure de son retour par fidélité à Dieu qui l’a envoyé sur Terre, saurons-nous jamais s’il n’a pas involontairement contribué à l’exécution de sa mort individuelle ? De même, saurons-nous jamais les désirs et les craintes d’un malade voulant la mort si lui-même ignore tout ce qu’il exprime à travers sa demande ?

Une voie déjà frayée

La fin de vie est un dilemme devant lequel la morale est impuissante. Si la politique n’avait pas orienté le cours de ses réflexions en sous-main, la morale n’aurait pas pu changer d’avis jusqu’à se conformer au but fixé. Non pas qu’aucune avancée ne soit souhaitable. Mais là où chaque cas est particulier, la jurisprudence est préférable à la doctrine. Car seul le médecin a véritablement la main qui tremble, tant il est difficile, comme l’écrit Paul Ricœur, de tenir le juste milieu entre « deux tentations de faire le bien : l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie ». Ce n’est pas rien d’y renoncer et de consentir au moindre mal. Le philosophe s’arrête au seuil et termine par des « conseils de sagesse ». Ne pas s’obstiner à apporter certaines réponses est parfois la plus grande preuve de sagesse.

Me voilà donc embarrassé d’entrer accidentellement dans un débat aussi grave, aussi grand. Le projet de loi annoncé par le chef de l’Etat le 10 mars est contestable sur de nombreux points. Et ils furent critiqués à juste raison. Mais si Emmanuel Macron est « assez sûr du chemin » que prend l’évolution du texte, c’est que la voie a déjà été frayée. La ligne est droite et il n’y a plus qu’à la suivre : aller plus loin que la loi Claeys-Leonetti de 2016, laquelle allait plus loin que la loi Leonetti de 2005, laquelle allait plus loin que la loi Kouchner de 2002. Nous sommes donc embarqués. Le chef de l’Etat s’est fait une conviction personnelle de l’impulsion dont il hérite. Une telle assurance lui offre toute latitude sur le calendrier. Il respectera le temps parlementaire et s’ajustera au rythme de chacun. Comme il le dit, il n’y avait pas d’urgence.

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