« La réforme des groupes de niveau n’apportera que des effets délétères dont les enfants seront les premières victimes »

2877


Cette tribune paraît dans « Le Monde de l’éducation ». Si vous êtes abonné au Monde, vous pouvez vous inscrire à cette lettre hebdomadaire en suivant ce lien.

Dans cette 5e, M. est un très bon élève. Y. ne maîtrise pas la lecture. Arrivé en France à l’âge de 8 ans, A. rencontre encore des difficultés de compréhension. Ce jour-là, quand M. se met à pleurer et confie à son enseignante les problèmes de sa famille, ses deux copains A. et Y. restent avec lui pour le soutenir. Quand l’un d’eux a besoin d’aide, M. est là pour lui. Aucun d’eux ne songe ni à s’enorgueillir ni à avoir honte de son niveau scolaire. Ils sont amis.

S. est agressive, perturbatrice. Sanctionnée, elle est envoyée dans le dispositif UPE2A [unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants]. L’enseignante lui demande d’aider une élève allophone non lectrice. En quelques secondes, S. est métamorphosée. Elle engage dans cet étayage son intelligence, ses facultés de concentration, sa gentillesse qu’elle cachait. Ces « travaux d’intérêt général » ont sur elle des effets bénéfiques qui se prolongeront toute l’année. S. s’est réconciliée avec l’école en rencontrant cette petite si fragile, en devenant pour elle quelqu’un qui compte.

Quant à cette petite élève que S. a aidée, arrivée en France à 11 ans sans scolarisation antérieure, elle est aujourd’hui au lycée général. Soutenue par les enseignants, placée dans des classes d’élèves de niveaux différents mais plutôt calmes et motivés (il y en a bien plus que ce que certains prétendent), elle a construit ses fondamentaux, rattrapé l’essentiel de son retard et est devenue une jeune fille épanouie.

Renforcer la fracture sociale

Lorsqu’on est enseignant ou parent en REP [réseau d’éducation prioritaire] et REP +, on ne rencontre pas que des problèmes. On voit souvent de belles histoires où l’humanité s’épanouit, où grandir ensemble a du sens. Pourtant, l’ambition d’accueillir ensemble les élèves en offrant à chacun une chance de réussir est aujourd’hui reniée et vue comme illusoire. La hiérarchisation de nos enfants est justifiée par les arguments les plus fallacieux. Les élèves fragiles empêcheraient les meilleurs de « s’envoler ». On confond difficulté scolaire et comportements perturbateurs. Les bons et les faibles seraient adversaires, rivaux dans le partage des ressources attentionnelles et pédagogiques des enseignants. En « libérant » les meilleurs élèves, on aiderait les plus faibles. Pourtant la réforme prévoit pour eux les mêmes programmes, les mêmes méthodes, les mêmes enseignants livrés à eux-mêmes.

Il vous reste 68.04% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link