« Vivre une guerre, c’est comme devoir renouveler chaque jour son contrat avec la vie »

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[Atef Abu Saif, 50 ans, est écrivain et ministre de la culture de l’Autorité palestinienne, en Cisjordanie. Il est né dans le nord de la bande de Gaza, où il a vécu jusqu’en 2019. Le 5 octobre 2023, il s’était rendu sur place, accompagné de son fils Yasser, 15 ans, pour un séjour de travail et de visites à ses proches. Le 7 octobre au petit matin, alors qu’il était sorti en bord de mer, le ciel s’est embrasé. En prélude à son attaque en territoire israélien, le Hamas tirait des milliers de roquettes en direction d’Israël. Et la guerre a commencé

Depuis, père et fils sont bloqués au cœur des bombardements et Atef Abu Saif tient un journal de bord où il évoque le quotidien des habitants, et la mort, omniprésente, qui a emporté plus de 20 000 Palestiniens, selon les autorités locales. Début octobre, son fils a réchappé de peu à un raid israélien ; le 17 octobre, la famille de son cousin a été décimée. Seule sa nièce, Wissam, a survécu, amputée des deux jambes et de la main droite. Alors qu’il vit aujourd’hui dans un camp de réfugiés, Le Monde publie des extraits de son journal, à partir du vendredi 17 novembre.]

Le ministre et écrivain Atef Abu Saif, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en décembre 2023.

Vendredi 17 novembre

La nuit dernière, j’ai dû dormir dans une école. J’étais allé rendre visite à ma sœur Halima, qui s’est réfugiée dans l’une d’entre elles, lorsque les attaques israéliennes se sont tout à coup intensifiées. J’ai attendu que la nuit tombe et que les explosions baissent en intensité. Mais il était trop tard pour s’aventurer dans les rues. Je suis donc resté.

A l’intérieur, les gens se sont créé une nouvelle vie. Certains vivent dans des salles de classe, d’autres sous des tentes improvisées, aménagées avec du tissu et des couvertures dans la cour de récréation. Il y a cinq salles d’eau dans le bâtiment, qui servent à des centaines de personnes. Pendant la journée, les gens font la queue pendant des heures pour utiliser les toilettes. Mais, la nuit, lorsque les lumières sont éteintes, ils utilisent des seaux, dans les tentes, seulement pour uriner. Nous entendons toutes les conversations qui proviennent des tentes voisines. Il n’y a pas d’intimité ici.

Sur le site des frappes israéliennes  tombées sur le camp de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza, le 18 novembre 2023.

Vers 2 h 30, un énorme débris tombe dans la cour. Un morceau de béton a heurté le haut plafond métallique qui nous surplombe. Une femme crie. Nous nous réveillons tous. La nuit se confond avec le jour. J’entends le sifflement des roquettes et des obus et je regarde le ciel s’illuminer à travers le tissu de la tente. Je fais de mon mieux pour ne pas utiliser le seau. Vers 4 heures, je ne peux plus résister.

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