« Une distinction entre pratique analytique et exercice d’un pouvoir s’impose »

3328


La soixantaine de témoignages et les plaintes déposées contre le psychanalyste Gérard Miller nous ont abasourdies. Nous sommes psychanalystes, psychologues cliniciennes exerçant depuis vingt ans en centre médico-psycho-pédagogique et en cabinet. Nous voulons prendre la parole, car, à en juger par le silence actuel des psychanalystes, cette affaire laisse sans voix et nous fait éprouver, comme à notre consœur Clotilde Leguil, dans un entretien accordé au Monde le 17 février, un profond malaise. Une distinction entre pratique analytique et exercice d’un pouvoir s’impose.

Nous n’entendons pas nous substituer à la justice, qui doit « faire son travail ». Cependant, nous pensons que nous aussi avons à « faire notre travail » face aux effets de ces témoignages, dont la résonance sociétale majeure, en lien avec #metoo, interroge l’éthique analytique.

Des femmes, parfois mineures au moment des faits, relatent l’utilisation de l’hypnose par le populaire et médiatique psychanalyste à des fins de soumission dans son domicile-cabinet. Les plaignantes indiquent avoir, dans ce contexte, subi des violences sexuelles et des viols.

Confusion des registres

Le 10 janvier, Gérard Miller était invité sur le plateau de « C ce soir » pour une édition intitulée « Violences sexuelles : le tournant Depardieu ? ». C’était un peu plus d’un mois avant que ces accusations ne soient rendues publiques par l’ouverture d’une enquête préliminaire, le 23 février. Sur le plateau du service public, il pointait, à la lumière de la révolution #metoo, un certain « aveuglement collectif » concernant les relations de domination se jouant entre un homme de pouvoir et une très jeune femme. Le trouble et le discrédit suscités par le grand écart entre son discours médiatique et les dénonciations en série dont il fait l’objet ne concernent pas seulement les personnes impliquées, mais l’ensemble de nos pratiques, mises à mal par la confusion des registres.

Aujourd’hui, Gérard Miller a démissionné des instances psychanalytiques auxquelles il appartenait, signe d’une position intenable qui nous invite à réfléchir à l’éthique analytique. Nos pratiques et notre profession l’exigent, pour que nous soyons à la hauteur de la responsabilité qui nous incombe et nous engage.

Lire aussi la chronique | Article réservé à nos abonnés Gérard Miller dans « Le Monde », un boulimique médiatique dans la tourmente

La première nécessité de l’éthique analytique réside dans le fait de reconnaître que nous, analystes et cliniciens, sommes immergés dans le social et en portons l’empreinte. Nos histoires personnelles et professionnelles sont façonnées de croyances, de valeurs et de préjugés à l’œuvre dans la société. Reconnaître cette appartenance est absolument nécessaire, car c’est le point de départ d’une réflexion concernant les effets de cette empreinte sur nos pratiques.

Il vous reste 55.64% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link