« Si nous refusons la paix, ce qui nous attend sera pire que le 7 octobre »

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Ami Ayalon, contre-amiral et ancien directeur du Shin Beth, service de renseignement intérieur israélien, chez lui à Kerem Maharal, en Israël, le 22 janvier 2024.

Après une carrière dans l’armée, le contre-amiral Ami Ayalon a dirigé le service de renseignement intérieur israélien, le Shin Bet, entre 1996 et 2000. Il a entrepris depuis un cheminement intellectuel et politique qui l’a amené à s’interroger sur la notion d’ennemi dans le conflit israélo-palestinien, ainsi que sur les errances de la vision sécuritaire israélienne qui menace, selon lui, de déboucher sur une « guerre sans fin ». Agé de 78 ans, il est l’auteur de Friendly Fire : How Israel Became Its Own Worst Enemy (« Tir ami : comment Israël est devenu son propre et pire ennemi », Steerforth, 2020, non traduit).

Une partie des troupes israéliennes commencent à se désengager de Gaza, tandis que le gouvernement promet une nouvelle phase opérationnelle, de moindre intensité. Est-ce un tournant dans la guerre contre le Hamas à Gaza, le début de sa fin ?

Je crois que cette question va bien au-delà des détails de cette campagne militaire. Au fond, quelle est la situation ? Notre problème réside dans la tension entre la terreur et les droits de l’homme. Toutes les démocraties libérales sont confrontées à un conflit entre violence terroriste et droits fondamentaux, à quoi s’ajoute la peur. Quand une personne ou une communauté éprouve de la peur, elle va privilégier la sécurité sur les droits, surtout quand les droits ne sont pas ses propres droits, mais ceux des autres, ceux d’une minorité. Nous renonçons donc aux droits d’une minorité dans l’idée que nous allons combattre le terrorisme. Et nous ne comprenons pas qu’un jour, sans doute, nous allons nous féliciter d’avoir tué des bad guys, mais que nous aurons perdu notre identité.

Est-ce ce qui arrive en ce moment dans la guerre menée à Gaza ?

C’est ce qui arrive en permanence, aussi bien en Europe et aux Etats-Unis qu’en Israël. C’est un phénomène mondial au sein des démocraties libérales. Mais parlons du cas israélien. Ce que j’essaie d’analyser, c’est le concept de victoire. Quand une démocratie fait face à un groupe terroriste, cela induit un type de victoire différent. Aujourd’hui, la plupart des guerres opposent des Etats non à d’autres Etats, mais à des « organisations » (mouvements, rébellions, guérillas, etc.). Cela signifie des conflits dans lesquels il est impossible de l’emporter comme auparavant, en obtenant une meilleure donne politique par une action militaire.

Qu’est-ce qu’une victoire, alors, dans ce contexte ?

Une « organisation terroriste » ne va jamais se rendre en hissant le drapeau blanc. Vous allez tuer des membres d’Al-Qaida, sans parvenir à les faire disparaître. A Gaza, c’est pareil, nous ne combattons pas un Etat, nous combattons une organisation terroriste. Mais nous ne faisons pas la guerre aux Palestiniens. Il y a des Palestiniens qui soutiennent le Hamas. Ils ne le font pas parce qu’ils adhèrent à l’idéologie religieuse du mouvement, mais parce qu’ils voient le Hamas comme la seule organisation qui se bat pour leur liberté et la fin de l’occupation israélienne [dans les territoires occupés]. C’est cela qui est important à comprendre pour imaginer la suite.

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