Reed Brody contre l’impunité des grands de ce monde

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Hissène Habré, ancien dictateur du Tchad, au début de son procès, à Dakar, le 20 juillet 2015.

« La Traque de Hissène Habré. Juger un dictateur dans un monde d’impunité » (To Catch a Dictator. The Pursuit and Trial of Hissène Habré), de Reed Brody, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Lucie Delplanque, Karthala, 376 p., 27 €.

Si l’on en croit Hérodote, Pythagore aurait écrit que « celui qui n’accomplit pas avec justice le devoir qui lui a été prescrit peut être considéré comme un violateur de l’ordre général de l’Univers ». C’est précisément à ce « viol » que s’attaque le célèbre avocat américain des droits humains Reed Brody – « le chasseur de dictateurs », comme le surnomme la presse –, qui publie La Traque de Hissène Habré, magnifique récit de la poursuite et du procès de l’ancien dictateur du Tchad.

Dans ce thriller judiciaire, Brody revient aussi sur une partie de sa carrière, jusqu’à son combat actuel contre l’ancien dictateur de la Gambie, Yahya Jammeh, tout en pensant déjà aux crimes commis en Ukraine, en Israël, à Gaza… Fils d’un juif hongrois qui survécut aux camps de travail en Ukraine sous l’occupation nazie, Brody naît à Brooklyn en 1953 et, très jeune, est habité par un désir viscéral de rendre justice. Il devient substitut du procureur de l’Etat de New York dès 1980, avant de se rendre en 1984 au Nicaragua, où il documente les crimes des « contras » (guérillas à la solde de ­Reagan) sur les civils.

En 1998, le juge Baltasar Garzon lance un mandat d’arrêt contre l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, et Reed Brody participe aux audiences à Londres. L’instruction, note-t-il, « se déroulait dans le cadre de la “compétence universelle” : n’importe quel Etat peut, et parfois doit, poursuivre en justice les coupables des pires atrocités internationales, quel que soit l’endroit où le crime a été perpétré ». La compétence universelle, l’idée que les nations sont des sœurs en droit, devient la raison d’être de Brody. La Traque… est ainsi une odyssée intime : le récit haletant d’un enjeu quasi familial, mais aussi d’un voyage intérieur de Brody, qui, dans l’affaire tchadienne, cède peu à peu la vedette à ses partenaires africains.

Hissène Habré (1942-2021) avait accédé au pouvoir en 1982 par les armes, avec la complicité des Etats-Unis et de la France. En huit années – jusqu’à sa chute dans le coup d’Etat d’Idriss Deby (1952-2021) –, il a fait plus de quarante mille victimes, commandité des actes de torture, des exécutions, et développé un usage systématique du viol (qu’il a pratiqué en personne dans ses geôles). Reed Brody a passé seize ans à construire le dossier, aidé par l’avocate tchadienne Jacqueline Moudeïna, et à arpenter l’Afrique, en particulier le Sénégal, où Habré s’était réfugié en 1990.

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