Quinze siècles avant Athènes, un semblant de démocratie en Assyrie

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Tout à coup, la lumière remplaça les ténèbres. A Athènes, entre le VIIe et le Ve siècle avant notre ère, la philosophie apparaît, la démocratie renverse la tyrannie. Nous l’avons tous appris à l’école, c’est le « miracle grec ». Un « miracle » qui, soit dit en passant, sied très bien aux héritiers de la Grèce que nous sommes : en le célébrant, c’est un peu nos propres louanges que nous chantons. L’émergence de systèmes politiques complexes, le partage des pouvoirs et les balbutiements de la démocratie, tout cela vient-il du seul génie de l’Europe ? Si vous doutez de ce miracle, vous n’avez probablement pas tort, et les lettres de Kanesh sont là pour conforter votre scepticisme.

Ces quelque 22 000 tablettes d’argile vieilles de 4 000 ans, découvertes dans les ruines de la cité anatolienne de Kanesh, donnent un aperçu fascinant de l’organisation d’une grande ville de l’âge du bronze, qui n’est pas sans rappeler l’Athènes de Périclès – tout en la précédant de quinze siècles.

Mais, avant de poursuivre, il faut éclaircir un point important. Les lettres découvertes à Kanesh ne renseignent pas tant sur la ville de Kanesh que sur une autre cité : Assur, le cœur de l’Assyrie, à un millier de kilomètres au sud-est, postée en surplomb du Tigre, non loin de l’actuelle Mossoul (Irak). « La majorité de ces textes sont des correspondances entre les marchands assyriens installés sur place et leur ville d’origine, Assur, à laquelle ils restent liés », explique l’assyriologue française Cécile Michel (CNRS), qui travaille depuis près de quarante ans sur ce corpus. « Or, pour la période paléo-assyrienne [entre 2000 et 1800 avant J.-C.], les archéologues n’ont trouvé quasiment aucun texte à Assur, dit-elle. Les principales sources d’information sur le fonctionnement de cette cité-Etat sont les documents trouvés à Kanesh. »

Une image stupéfiante de modestie

Si le pays d’Assur vous dit quelque chose, c’est probablement que vous avez déjà arpenté les départements des antiquités orientales des grands musées européens. Peut-être avez-vous admiré, au Louvre, les immenses taureaux ailés androcéphales taillés dans l’albâtre qui gardaient la cour du palais de Sargon II, à Khorsabad. Peut-être avez-vous flâné devant les bas-reliefs du palais d’Assurbanipal, au British Museum de Londres…

Cette Assyrie fastueuse, c’est celle de l’âge de fer, qui règne sur tout le Proche-Orient de 900 à 600 avant notre ère. Le roi d’Assyrie est alors l’homme le plus riche et le plus puissant du monde. Ses banquets régalent parfois des dizaines de milliers de convives pendant des semaines. Son armée est précédée d’une réputation d’invincibilité et de brutalité sanguinaire qui tient en respect tous les peuples de la région, depuis le delta du Nil jusqu’au Tigre, et des monts enneigés du Taurus jusqu’aux déserts du Golfe Persique.

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