Quatre présidents africains en route pour Kiev et Moscou pour tenter une médiation entre Poutine et Zelensky

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Quelles sont les chances de succès de dirigeants africains là où toutes les autres tentatives de médiation entre la Russie et l’Ukraine ont échoué ? « Nous espérons créer un électrochoc, mais ce n’est que le début du début, le lever de rideau d’une pièce qui se jouera, si les deux parties le veulent, en plusieurs actes », expliquait avec prudence, quelques jours avant la confirmation de ce voyage, Jean-Yves Ollivier, l’homme derrière cette initiative de paix préparée depuis décembre 2022.

L’affiche des médiateurs a perdu de son prestige ces derniers jours. Des sept chefs d’Etat africains prévus au voyage, ils ne devraient finalement être plus que quatre. Vendredi 16 juin, les présidents d’Afrique du Sud, du Sénégal, de Zambie et des Comores – qui préside actuellement l’Union africaine – sont attendus à Kiev pour une rencontre avec leur homologue ukrainien Volodymyr Zelensky. Ils seront accompagnés du premier ministre égyptien, le président Abdel Fattah Al-Sissi ayant annulé sa venue au dernier moment, et du chef de la diplomatie ougandaise, dont le chef de l’Etat Yoweri Museveni s’est fait excuser après avoir été contrôlé positif au Covid-19.

Le lendemain, les mêmes doivent se rendre à Saint-Pétersbourg pour s’y entretenir avec le Russe Vladimir Poutine. Initialement du voyage et connu pour sa proximité avec M. Ollivier, le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, qui déclarait lundi que « face à un tel drame, l’Afrique ne peut pas rester silencieuse ou indifférente », a finalement annulé sa participation, après avoir demandé un report. « La sécurité des chefs d’Etat est un problème, notamment en raison du trajet en train entre la Pologne et l’Ukraine », indique une source au sein de l’organisation du voyage.

Menée au moment où l’Ukraine est engagée dans une contre-offensive militaire et où la Russie ne semble disposée à aucun compromis, cette tentative d’établir un dialogue entre belligérants peut sembler vouée à l’échec. Mais pour Jean-Yves Ollivier, artisan de cette offre de médiation avec la Fondation Brazzaville qu’il dirige, « c’est au moment où les choses s’activent militairement que les opportunités de paix sont souvent les plus fortes ».

Estampillé « Françafrique »

A 78 ans, cet homme d’affaires français dont la fortune s’est faite dans le négoce de matières premières dispose d’un des carnets d’adresses les mieux fournis parmi les dirigeants africains. Proche notamment du Congolais Denis Sassou-Nguesso, du Sud-Africain Cyril Ramaphosa comme d’autres figures de son parti, le Congrès national africain (ANC), du Sénégalais Macky Sall ou encore du Togolais Faure Gnassingbé, M. Ollivier s’est, au-delà de ses affaires, fait un nom dans la diplomatie parallèle au Liban, aux Comores, mais surtout en Afrique australe où il participa en 1987, avant la fin de l’apartheid, à l’organisation d’un échange de prisonniers entre des soldats angolais et des indépendantistes namibiens contre un officier sud africain.

M. Ollivier, qui fut intégré aux réseaux africains de Jacques Chirac, est en revanche tenu à distance par Emmanuel Macron. Estampillé « Françafrique », l’intermédiaire est également consultant de Rosatom, le géant russe du nucléaire civil.

La tentative de médiation a été révélée le 16 mai par le président sud africain, qui s’est depuis chargé d’obtenir le soutien de ses homologues chinois, indien et brésilien. Lors d’un entretien téléphonique le 3 juin avec Emmanuel Macron, Cyril Ramaphosa est parvenu à obtenir un appui de la France, même s’il n’est qu’a minima.

« Il n’y a pas de contact direct et le soutien est un peu forcé mais, dans le contexte de dégradation des relations entre la France et l’Afrique, l’Elysée ne pouvait pas s’opposer à un projet porté par des présidents africains », analyse la source au sein de l’organisation du voyage. La Fondation Brazzaville s’est davantage entretenue avec le département d’Etat à Washington ou le Foreign Office à Londres, même si les deux pays n’ont apporté qu’un soutien « prudent » selon les termes du président sud-africain.

Un objectif plus économique que politique

Les chancelleries occidentales ont de quoi s’interroger sur le discours que portera chacun des chefs d’Etat, les nations africaines ayant encore exposé leurs divisions sur cette guerre lors du vote à l’ONU le 23 février d’une résolution non contraignante exigeant « le retrait immédiat » des troupes russes d’Ukraine. Cyril Ramaphosa apparaît aujourd’hui comme le plus enclin à soutenir les positions de la Russie quand le Zambien Hakainde Hichilema, dont le pays avait voté en faveur de la résolution, pencherait lui davantage du côté de Kiev. « Alors que les Occidentaux ne parlent plus à Poutine, les Africains sont les seuls aujourd’hui à pouvoir parler avec les deux camps », juge l’un des membres d’une délégation.

Si ramener les deux belligérants autour d’une même table semble aujourd’hui une mission impossible, les dirigeants africains pourraient en premier lieu se contenter de satisfaire l’objectif principal affiché par la Fondation Brazzaville, bien plus économique que politique. Dans un communiqué du 16 mai, celle-ci indiquait que le but de cette initiative est d’établir « une plate-forme de dialogue, visant à obtenir des accords pour libérer les cargaisons de céréales et les engrais critiques pour l’expédition vers l’Afrique, atténuant ainsi le risque potentiel de famine sur le continent ».

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Les pays africains demeurent extrêmement dépendants des céréales et des engrais russes et ukrainiens – l’Egypte est ainsi le premier importateur mondial de blé – et posent en filigrane l’accusation de qui sera le responsable d’une crise alimentaire sur le continent.

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Après s’être dit prêt à leur livrer gratuitement des céréales alors que « presque rien ne va aux pays africains », Vladimir Poutine a, quatre jours avant sa rencontre prévue avec cette délégation, réitéré sa menace d’un retrait de l’accord conclu en juillet 2022 permettant l’exportation de céréales ukrainiennes, au motif que les clauses sur l’exportation des engrais produits par la Russie ne sont pas respectées.

« Une négociation commence toujours par des échanges techniques », relativise la source précédemment citée, assurant que « des points de convergences ont déjà été négociés en amont. » Selon elle, le calendrier est déterminant pour convaincre Vladimir Poutine. « S’il veut que le sommet Russie – Afrique de Saint-Pétersbourg [prévu du 26 au 29 juillet] soit un succès, précise-t-elle, il ne pourra pas laisser les dirigeants africains repartir les mains vides. » Au sein d’une des délégations, on estimait avant le départ que pour que la mission soit un succès a minima, celle-ci devrait permettre la libération de quelques prisonniers des deux camps.

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