quand le président Léopold Sédar Senghor défendait les Papous

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Le président sénégalais Léopold Sédar Senghor au côté de Mario Soares, secrétaire général du Parti socialiste portugais, à Lisbonne, en mars 1978.

« Pour ce qui est d’informer les Indonésiens sur les activités des Papous au Sénégal, il est préférable de laisser faire les Néerlandais ou les Australiens… » Cette communication diplomatique américaine datée de 1978 a de quoi étonner. Que font des Papous à Dakar, au mitan des années 1970, et pourquoi les Indonésiens s’en inquiéteraient-ils ?

A cette époque, plusieurs peuples mélanésiens rejettent l’autorité indonésienne sur des régions insulaires de l’Océanie, comme la partie orientale du Timor ou la partie occidentale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’action de l’armée indonésienne et les résistances qu’elle rencontre font des dizaines de milliers de morts et de déplacés. Les mouvements indépendantistes ne reçoivent de soutien de la part d’aucun dirigeant dans le monde. D’aucun, sauf un : le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. « Jusqu’à présent, seule la République du Sénégal nous a accordé une aide », assurait en 1976 Ben Tanggahma, représentant papou à Dakar, dans une interview à la revue américaine Black Book Bulletin.

Le prestige de l’Indonésie est alors grand. Sous la présidence de Sukarno (1945-1965), le pays a été le champion du tiers-mondisme politique en accueillant la conférence de Bandung, en 1955. Quand l’archipel bascule avec la prise de pouvoir de Suharto, il devient un allié des puissances occidentales.

L’intellectuel nigérian Wole Soyinka est connu pour avoir critiqué la pensée de Senghor et de la « négritude », concept central chez le dirigeant sénégalais. Mais en 2002, juste après l’indépendance du Timor oriental, il prend la plume pour défendre le rôle du poète-président, solidaire du combat des peuples mélanésiens. « Il a été le seul dirigeant africain à se soucier du destin de ces peuples et à les aider dans leur lutte pour l’autodétermination. Sa position se faisait même au mépris de la politique américaine… » Un portrait qui tranche avec la mémoire, largement répandue, d’un dirigeant timide à l’idée de s’opposer aux capitales occidentales.

« Nationalisme mélanésien »

En 1976, Léopold Sédar Senghor décide d’offrir aux Papous en lutte une représentation à Dakar. Le Gouvernement révolutionnaire provisoire de Papouasie-Nouvelle-Guinée occidentale (GRP), créé en 1971, envoie Ben Tanggahma au Sénégal. Il partage le catholicisme de Senghor. En plus d’un bureau, une voiture est mise à sa disposition. Le Sénégal accueille alors aussi des représentants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et du Congrès national africain (ANC). Depuis Dakar, Ben Tanggahma, qui cherche à se rapprocher tant de ces mouvements de libération que des responsables africains, voyage dans des pays de la région.

L’attachement de Léopold Sédar Senghor au destin des peuples mélanésiens procède d’une logique. Wole Soyinka décrit la rigueur intellectuelle du président à ce sujet. Dans la vision du dirigeant sénégalais, certains peuples océaniens, à l’instar des Papous, sont inclus dans ce qu’il conçoit comme l’univers de la négritude. Le monde noir, pour lui, dépasse le continent africain et englobe les Caraïbes, mais aussi des pans de l’Asie et de l’Océanie. Le leadership papou, qui promeut un « nationalisme mélanésien », partage cette idée.

« Nous avons été liés à l’Afrique par le passé, nous sommes liés à l’Afrique pour le futur », déclare Ben Tanggahma, qui dénonce la présence indonésienne comme un colonialisme. « Le GRP insiste sur son appartenance au “monde noir” », note Le Monde dans un article publié en 1976, soulignant que c’est à Dakar que le mouvement « a reçu l’appui d’intellectuels et chercheurs noirs des Caraïbes, d’Amérique du Nord et du Sud et d’Afrique réunis en un séminaire consacré à la recherche des alternatives africaines ».

L’Américain Quito Swan, professeur d’histoire et d’études africaines à l’université George-Washington, a listé les noms des personnes qui ont rencontré Ben Tanggahma à Dakar : on y retrouve Cheikh Anta Diop, le plus connu des intellectuels sénégalais, et le célèbre penseur trinidadien Cyril Lionel Robert James.

Un Cubain dans la jungle du Timor

Lorsqu’il reçoit le nouvel ambassadeur australien à Dakar, en 1978, Léopold Sédar Senghor lui rappelle que le Sénégal a salué la décision de Canberra d’accorder l’indépendance à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sur la moitié orientale de l’île de Nouvelle-Guinée, quelques années plus tôt. Et ce « alors que l’ONU a commis une erreur en restant sourde aux exigences des Papous de la Nouvelle-Guinée occidentale, qui, actant de leur négritude, exigent leur indépendance » à l’égard de l’Indonésie, ajoute le président sénégalais.

Senghor est rigoureux, il se renseigne. Il dépêche un mystérieux Cubain, noir de peau, présenté par Wole Soyinka comme un défecteur du régime castriste, dans la jungle du Timor pour aller à la rencontre des militants du Front révolutionnaire pour l’indépendance du Timor oriental (Fretilin), un mouvement inspiré du Frelimo mozambicain, qui affrontent le puissant Etat indonésien. Décrivant les cérémonies pour l’indépendance du Timor oriental en 2002, Wole Soyinka écrit : « Il manquait un chef d’Etat à qui, de toute évidence, aurait dû être accordée une place d’honneur : Léopold Sédar Senghor. »

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Avec le temps, cette position s’est estompée au sein de l’Etat sénégalais. Une guérilla et différents mouvements civils revendiquant l’autonomie agitent toujours la région indonésienne de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Il n’existe à ce jour aucun soutien, ni ouvert ni discret, de la part de Dakar à ces mouvements, commente un diplomate sénégalais sous le couvert de l’anonymat. Cette posture de Senghor n’a pas prospéré après son départ du pouvoir. »

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