Quand la Suède traque les infiltrés russes

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Difficile de ne pas repérer cette maison blanche, un rien tape-à-l’œil, accrochée au flanc de cette colline de Nacka, banlieue résidentielle de Stockholm. Au rez-de-chaussée, plusieurs fenêtres ont été voilées de plastique en guise de vitres, les stigmates d’un événement dont les habitants du secteur peinent à se remettre. Le 22 novembre 2022, à l’aube, dans un décor de neige, deux hélicoptères et des unités de police ont fait irruption ici, en cassant portes et fenêtres. Lars, un voisin âgé de 48 ans, se souvient avoir vu l’inscription « FBI » sur le dos de certains agents, présents aux côtés des policiers suédois.

Ce matin-là, Sergueï Skvortsov et Elena Koulkova, 59 et 58 ans, ainsi que leur fils, dormaient encore. Depuis, le couple est accusé d’« acquisition illégale de technologies au profit de l’industrie militaire russe ». Skvortsov était en relation avec « les services de renseignement militaires russes, le GRU », dit le procureur en charge des affaires relevant de la sécurité nationale, Henrik Olin.

Six mois ont passé. Ce 23 mai, quand nous nous présentons sur place, la neige a disparu. Deux coups de sonnette suffisent pour qu’Elena Koulkova vienne ouvrir. A la différence de son époux, elle a été remise en liberté, mais reste poursuivie pour complicité. A l’évidence, ce n’est plus tout à fait la femme d’autrefois, toujours prête à étaler sa vie confortable sur les réseaux sociaux. Pâle, habillée d’un jean et d’un chemisier blanc, elle porte un gilet de laine alors qu’il fait chaud. Ses lunettes rondes habillent un visage fin, inquiet mais combatif.

Comme dans « The Americans »

Sur la défensive, sa voix ne trahit aucune faiblesse. Le ton est sec, le verbe clair. « J’ai mon passeport, je peux voyager. C’est bien la preuve que je ne suis pas celle que vous croyez. » L’échange est bref, mais courtois. Elle finit par rentrer dans cet intérieur bourgeois réparti sur deux étages qu’ils ont fait construire, en 2015, pour 11 millions de couronnes suédoises (près de 1 million d’euros).

Fin 2022, la Suède a découvert, stupéfaite, ses premiers « illégaux ». Ces agents russes infiltrés à long terme dans des pays étrangers sous fausse identité ou fausse qualité, comme dans la série télévisée à succès The Americans. Devenus binationaux – en 2010 pour madame, en 2012 pour monsieur –, ils sont tous deux originaires de la région de Perm, dans l’Oural. Ils ont fait des études d’ingénieur à Moscou, et sont venus s’installer en Suède à la fin des années 1990. La justice les suspecte d’être, à la tête de leurs sociétés d’import-export de composants électroniques et de technologies avancées, le maillon suédois d’un réseau d’espionnage industriel géré par le GRU.

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