Pourquoi la suppression de l’allocation de solidarité spécifique suscite les critiques

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Lors de son discours de politique générale, le 30 janvier, le premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS).

Ce fut l’une des annonces concrètes faites par le premier ministre, Gabriel Attal, lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée nationale, le 30 janvier. Depuis, la suppression annoncée de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) suscite les grincements, tant du côté des acteurs de l’aide sociale que dans les départements.

Qu’est-ce que l’ASS ?

Cette aide financière de 18,17 euros par jour (545,10 euros par mois) s’adresse aux chômeurs en fin de droits, pour compléter leurs revenus ou leur assurer un minimum pour vivre. Créée en 1984, l’ASS est versée par France Travail (ex-Pôle Emploi), par périodes de six mois renouvelables. Elle est accordée sur des critères d’activité passée et de revenus.

Pour en bénéficier, il faut :

  • avoir travaillé au moins cinq ans sur les dix dernières années précédant la perte d’emploi ;
  • avoir par ailleurs des revenus inférieurs à un plafond, qui évolue chaque année (actuellement 1 271,90 euros par mois pour une personne seule et 1 998,70 euros pour un couple).

L’ASS concerne également certaines professions spécifiques, comme les artistes non-salariés, les marins pêcheurs et les dockers occasionnels.

Selon le dernier rapport en date de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), l’ASS concernait 321 900 personnes fin 2021, un chiffre en baisse quasi constante depuis 2016. Il est versé à parts quasi égales aux hommes (53 %) et aux femmes (47 %), et bénéficie plutôt aux personnes en fin de carrière (40 % des bénéficiaires ont entre 50 et 59 ans).

Pourquoi le gouvernement veut-il supprimer cette allocation ?

Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a qualifié l’ASS de « trappe à inactivité », car elle « prolonge les aides après la fin de l’assurance chômage ». Dans sa logique, sa suppression progressive doit encourager les demandeurs d’emploi à court de droit à revenir sur le marché du travail. Il s’inscrit dans son ambition générale de « déverrouiller le travail en incitant à l’activité », selon le premier ministre.

Il s’agirait en outre d’une économie pour l’Etat, qui finance l’ASS sur son budget solidarité, insertion et égalité des chances. Alors que le tassement annoncé de la croissance risque de compliquer la réduction du déficit et que la France est sous la menace d’une dégradation de la note de sa dette publique, le gouvernement est à la recherche d’économies. En l’état actuel, la suppression de l’ASS pourrait représenter un peu plus de 2 milliards d’euros de dépenses en moins. « Chercher un modèle social plus efficace et moins coûteux, ce n’est pas un gros mot, c’est un impératif », a assumé l’ancien socialiste lors de son discours.

Pourquoi les associations s’y opposent ?

L’annonce de la suppression de l’ASS a suscité des réactions critiques de plusieurs catégories d’acteurs concernés par la mesure.

1. Des personnes précaires qui ne cotiseront plus

Une fois l’ASS supprimée, ses bénéficiaires basculeraient sur le revenu de solidarité active (RSA). Si le montant du RSA est légèrement supérieur (607,75 euros contre 545,10 euros par mois), cette allocation est par plusieurs aspects moins avantageuse :

  • les ressources prises en compte pour le calcul RSA étant plus larges (par exemple, les aides au logement), certains bénéficiaires actuels de l’ASS pourraient ne pas y être éligibles ;
  • une réforme récente a soumis le RSA à quinze heures d’activité hebdomadaire (la mesure est pour l’instant applicable à titre expérimental dans quelques départements, mais sera généralisée en 2025) ;
  • contrairement à l’ASS, qui permet de valider certains trimestres, le RSA ne permet pas de cotiser pour la retraite.

De ce fait, la suppression de l’ASS risque de pousser des personnes déjà fragiles vers une situation encore plus précaire. Hugues Vidor, président de l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES), alerte ainsi dans les colonnes de L’Obs sur le risque de les « plonger dans la grande pauvreté », et de créer une « poudrière économique et sociale ».

La réforme risque tout particulièrement de paupériser les personnes en fin de carrière. D’un côté, il leur faut désormais rester sur le marché du travail plus longtemps pour pouvoir partir à la retraite, sans réforme pour améliorer l’attractivité des seniors. De l’autre, la suppression de l’ASS repousse leur départ à la retraite, puisque le RSA vers lequel ils basculeraient ne permet pas de cotiser. En somme, elle les menace de devoir rester actifs à la fois plus pauvres et plus longtemps.

2. Une diminution des aides pour 15 000 adultes en situation de handicap

La disparition de l’ASS inquiète également les acteurs du handicap. Jusqu’à présent, les personnes handicapées en fin de droits pouvaient cumuler l’ASS avec leur allocation aux adultes handicapées (AAH).

Le Monde

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Ce cumul était censé être autorisé à titre dérogatoire jusqu’en 2026. Mais il ne sera plus possible avec la suppression de l’ASS, car le RSA n’est pas cumulable avec l’AAH. Quelque 15 000 personnes actuellement concernées seront « lésées si la réforme ne prend pas en compte leur cas particulier », selon les estimations du site spécialisé Faire Face.

Dans le budget 2024, le gouvernement a fait voter une mesure facilitant le cumul de l’AAH avec une activité professionnelle, faisant valoir que « l’inclusion et l’accompagnement des personnes en situation de handicap demeurent au cœur [de ses] priorités ».

3. Un cadeau empoisonné pour le budget des départements

Enfin, la suppression des ASS n’est pas sans conséquences pour les budgets des départements, qui financent le RSA, amené à prendre son relais. Le président du conseil départemental de la Vienne, Alain Pichon (divers droite), a ainsi déploré une décision « inacceptable », avec « des conséquences financières énormes », de l’ordre de 7,3 millions d’euros à l’échelle de son seul département.

Au niveau national, selon l’association d’élus Départements de France, il s’agit d’une facture de 3,5 milliards supplémentaires, qui, pour son président, François Sauvadet, relève du jeu d’écriture pour rassurer les agences de notation sur le déficit public de l’Etat. « Camoufler la dépense sociale en la transférant aux départements, cela ne peut durer qu’un temps, met-il en garde. Chaque année, c’est 10 milliards d’euros que l’Etat camoufle dans nos comptes en ne compensant pas les allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH). Cela va finir par se voir, surtout lorsque nous ne pourrons plus les payer. » A ses yeux, cette mesure grèvera mécaniquement les budgets départementaux alloués à d’autres politiques publiques, comme la transition écologique, l’entretien du réseau routier ou l’éducation.



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