« Pour vous, nous sommes des monstres, n’est-ce pas ? »

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L’endroit est paisible. Une végétation luxuriante enserre des écuries. Des coins salon ont été aménagés. Partout, des petits objets, un cœur en bois, des bougies en pot, un vieux transistor, insufflent un sentiment intimiste qui inciterait au bien-être, n’eût été ce détail qui tranche : une plaque d’une fausse rue, « PTSD boulevard » (post-traumatic stress disorder, « troubles de stress post-traumatique »), apposée entre des box de chevaux.

Depuis des mois, le « ranch de Danny », à trente kilomètres au sud de Tel-Aviv, à Sitria, accueille des centaines de soldats israéliens de retour de Gaza, traumatisés par la guerre, la plus longue et la plus sanglante jamais entreprise par Israël en représailles au massacre du 7 octobre 2023 commis par des commandos du Hamas sur le territoire hébreu.

Plusieurs fois par semaine, ces militaires suivent ici des séances de thérapie, collectives et individuelles, pour tenter de se libérer des images cauchemardesques qui les hantent. Certains viennent d’eux-mêmes, mais beaucoup sont de plus en plus souvent envoyés par leur hiérarchie. Mi-octobre, le général Eyal Zamir, directeur général du ministère de la défense, qui finance partiellement les programmes de réadaptation, est venu visiter les lieux. Les chevaux font partie du parcours de soins. Ils rassurent.

Un fusil automatique, dans le ranch de Danny, à Sitria, au sud de Tel-Aviv (Israël), le 29 octobre 2024.

Ce jour-là, au bord du manège à ciel découvert, une demi-douzaine d’hommes parlent entre eux autour d’une vaste table ronde sur laquelle trône un fusil d’assaut. L’un est en uniforme militaire, un autre, tee-shirt blanc et casquette enfoncée sur la tête, a fait partie des soldats qui ont identifié le corps de Yahya Sinouar, le chef du Hamas, tué par une patrouille israélienne dans le sud de la bande de Gaza, le 17 octobre.

Comme la plupart de ses pairs, il choisit de s’éclipser. Adi reste. A la condition expresse de ne pas mentionner son nom de famille, il accepte de se confier. « Pour vous, nous sommes des monstres, n’est-ce pas ? Dans bien d’autres pays aussi, d’ailleurs… », commence-t-il, avant de s’interrompre. Il cherche ses mots.

« Une cage sous le feu »

A 43 ans, ce réserviste – en Israël, chaque soldat est affecté à une unité de réserve à la fin de son service militaire jusqu’à l’âge de 51 ans, pour des périodes plus ou moins longues – a été envoyé à Gaza dans les heures qui ont suivi le 7-Octobre. « Je commandais une unité chargée, en première ligne, d’ouvrir les routes avec des bulldozers et d’aider les chars, c’était comme être dans une cage sous le feu… » Nouvelle pause. « Ils [les Palestiniens] n’ont pas d’uniforme, on ne sait pas qui est l’ennemi, la tension était très forte, on ne se reposait pas, on ne mangeait pas », poursuit-il avec effort. En décembre 2023, à Chadjaya, un quartier de la ville de Gaza rasé par les forces israéliennes au prix de centaines de morts, Adi est blessé par un tir de roquette. Deux semaines plus tard, il est renvoyé à Khan Younès, dans le sud de l’enclave, où l’armée vient de pénétrer.

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