Fraîchement nommé ministre de la santé, Aurélien Rousseau envisage dès le mois d’août 2023 d’augmenter les taxes sur l’alcool à des fins de prévention. « Tu ne peux pas me faire ça ! », réplique Thomas Cazenave, son collègue chargé des comptes publics. Il en fait une affaire personnelle : pas question de froisser les viticulteurs, en particulier ceux de ses terres électorales du Bordelais.
Matignon arbitre en faveur de ce dernier, et le gouvernement, qui planche sur le prochain budget de la Sécurité sociale, se voit alors accusé par les associations de prévention de céder à la pression des quelque 59 000 exploitations viticoles françaises. Un secteur dont le ministère de l’agriculture évaluait le chiffre d’affaires à 15 milliards d’euros en 2022.
Ni les effets sur la santé, ni la situation budgétaire délicate n’ont jusqu’ici remis en cause l’avantage fiscal dont bénéficie le vin par rapport aux autres alcools. Une situation qui s’explique en partie par la présence d’alliés de la vigne dans tous les camps politiques et dans tous les organes de pouvoirs. Les ministres de la santé se succèdent, impuissants dans ce dossier qui ne ressemble à aucun autre. « Je ne suis pas favorable à l’augmentation de la fiscalité sur le vin, il y a d’autres leviers de santé publique », assume aujourd’hui auprès du Monde Thomas Cazenave, redevenu simple député (Renaissance) de Gironde en septembre.
C’est avant tout pour épargner le secteur viticole que l’Etat rechigne, depuis des années, à durcir la lutte contre les méfaits de l’alcool, responsable, selon le ministère de la santé, de 49 000 décès par an. Une position partagée par l’Elysée, où Emmanuel Macron revendiquait lui-même boire du vin « le midi et le soir » et se refusait à « emmerder les Français » avec des campagnes de prévention trop ambitieuses.
Au cours du premier quinquennat, le président de la République a fait d’Audrey Bourolleau, ancienne patronne de l’association Vin et société, principal lobby du vin en France, sa conseillère agriculture, la laissant défendre depuis le palais les intérêts de la filière.
Interrogé en janvier 2019 sur une possible hausse des taxes sur l’alcool, le ministre de l’agriculture de l’époque, Didier Guillaume, s’autorise sur BFM-TV une analyse toute personnelle des enjeux : « Le vin n’est pas un alcool comme un autre », et on n’a « jamais vu un jeune qui sort de boîte de nuit et qui est saoul parce qu’il a bu du côtes-du-rhône, du crozes-hermitage [ou] du bordeaux, jamais ».
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