Pour combattre les criquets, le pari du cannibalisme

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Des dix plaies d’Egypte, la huitième, à savoir les « sauterelles », comme les traducteurs de la Bible en français l’ont quelque peu improprement nommée, est sans doute celle que la réalité reproduit le mieux. Régulièrement, des portions entières du continent africain se voient privées de récoltes par des nuées de criquets pèlerins ou de criquets migrateurs, les deux espèces de locustes les plus redoutables.

Rappelons-en le principe : cet insecte, solitaire et tranquille en temps normal, se transforme, dans certaines conditions environnementales, en monstre grégaire et perpétuellement affamé. Les essaims qu’il forme alors peuvent atteindre plusieurs centaines de kilomètres carrés et plusieurs milliards d’individus – oui, milliards. Leur passage laisse des régions entières dévastées.

Depuis quinze ans, le chercheur britannique Iain Couzin, de l’Institut Max-Planck de Constance (Allemagne), pense en connaître la raison : le cannibalisme. Lors de sa mue, Dr Jekyll le criquet deviendrait tout à la fois Mr Hyde et Hannibal Lecter. Dans les immenses cages de son laboratoire, le chercheur a décrit la course permanente des insectes, courant tout à la fois pour attraper celui qui le précède et éviter celui qui le suit.

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Mais comment cette curieuse dynamique fonctionne-t-elle ? Une autre équipe allemande, à l’Institut Max-Planck d’Iéna, cette fois, a décidé de suivre cette voie. Dans un article publié dans la revue Science, le 5 mai, elle a montré qu’en plaçant cinq criquets migrateurs (Locusta migratoria), ou même vingt-cinq, dans une cage de 9,5 litres, ils demeuraient paisibles. Mais qu’à cinquante les nymphes de stade 4 et 5 commençaient à se mordre, un phénomène encore accentué à 250 par cage. Il convient ici de préciser que les criquets passent par cinq stades juvéniles – pendant lesquels ils marchent, sautent parfois, mais ne volent pas –, entrecoupés de mues, avant d’atteindre l’âge adulte.

Sur la piste des phéromones

Mais ce sont surtout les composés volatils émis par l’animal que ces chercheurs spécialisés dans l’odorat des insectes avaient en ligne de mire. Ils en ont ainsi trouvé dix-sept, produits par les nymphes pendant la seule phase grégaire. Trois de ces phéromones étaient déjà connues pour attirer les criquets. Treize autres sont apparues neutres. La dernière, la phénylacétonitrile (PAN), était elle aussi une vieille connaissance, puisque chez les criquets pèlerins les mâles l’émettent pour repousser des concurrents pendant leurs ébats.

Les chercheurs l’ont donc testée. En modifiant génétiquement un criquet afin qu’il ne produise pas cette phéromone, ils ont transformé la pauvre bête en une proie immédiate pour ses congénères. A l’inverse, en supprimant le récepteur olfactif spécifique de PAN chez des individus, ceux-ci se sont mis à attaquer leurs camarades sans distinction, avec ou sans PAN.

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