Pensée « pour encourager les pères » à prendre un congé parental, la réforme de 2015 a manqué sa cible

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« Pourquoi ne pas réfléchir ensemble à un congé parental plus court mais mieux indemnisé pour laisser un vrai choix aux familles ? », s’est interrogée Aurore Bergé, ministre des solidarités et des familles nouvellement nommée, dans un entretien accordé à Ouest France, mardi 25 juillet. Si la possibilité de réduire cette durée a heurté, notamment à gauche, le congé parental, tel qu’il a été réformé en 2015, soulève de nombreux enjeux : indemnité jugée trop faible, surreprésentation des mères, difficulté à inciter les pères…

Quelles différences entre congé paternel/maternel et congé parental ?

Les congés maternel ou paternel et le congé parental sont deux dispositifs distincts, qui peuvent se succéder.

  • Le congé maternité dure seize semaines (six semaines prénatales et dix postnatales) pour les deux premières naissances. Au-delà, sa durée augmente en fonction du nombre d’enfants à charge et à naître. Pour le père biologique ou le conjoint de la mère, le congé paternité – dont la durée a été doublée en 2021 – est de vingt-cinq jours ouvrés (trente-deux en cas de naissances multiples) qui sont à ajouter aux trois jours de naissance obligatoires. Les congés maternité et paternité ne sont pas conditionnés au type de contrat de travail (intérim, CDD, CDI…) ou à l’ancienneté dans l’entreprise. Les indemnités sont versées par la caisse primaire d’assurance-maladie et leur calcul est fondé sur la rémunération des parents. Toutefois, elles ne peuvent excéder 95,22 euros journaliers pour des salariés du privé.
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  • Le congé parental d’éducation permet aux parents salariés, lors d’une naissance ou d’une adoption d’un enfant de moins de 16 ans, de réduire voire cesser leur activité professionnelle pour élever leur progéniture pendant, au maximum, trois ans. C’est ce dispositif que Mme Bergé envisage de modifier. En cas de cessation d’activité professionnelle, le parent touchera 428,71 € mensuels quel que soit son revenu. En cas de travail partiel, le montant de l’indemnisation est plus faible. L’unique condition est de justifier d’un an d’ancienneté dans l’entreprise. L’employeur ne peut s’y opposer.

Quelle répartition du congé parental entre les parents ?

Sans surprise, ce sont en grande majorité les mères qui ont recours au congé parental. Une étude réalisée par deux chercheurs de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), parue en 2021, chiffre à 0,8 % le recours au congé parental à taux plein (synonyme de cessation d’activité professionnelle) chez les pères pour le premier enfant. Ce taux est de 13,7 % chez les mères. Une situation que Mme Bergé a jugée « doublement insatisfaisante ».

Si davantage de mères prennent des congés parentaux que les pères, la durée de leurs congés est aussi plus longue. Pour un premier enfant, une mère prend en moyenne quatre mois de congé à taux plein contre à peine plus de trois mois pour un père. Cette différence doit être réduite selon plusieurs responsables associatifs qui appellent de leurs vœux une réforme du congé parental.

Pourquoi un tel écart entre mères et pères ?

La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes votée en 2015 visait à « encourager le recours des pères au congé parental afin qu’ils consacrent davantage de temps aux tâches parentales et, d’autre part, d’inciter les mères à retourner sur le marché du travail plus rapidement afin de contribuer à la réduction des inégalités professionnelles liées à l’arrivée d’un enfant », rappellent les chercheurs Hélène Périvier et Grégory Verdugo, auteurs de l’étude de l’OFCE.

Dans les faits, la réforme a transformé les six mois de congé à se répartir en six mois pour chaque parent, renouvelables deux fois. De plus, il était possible de prendre un congé pendant trois ans consécutifs mais la réforme a limité à deux années pour un parent, qui peuvent être complétées par une année prise par le second parent. « L’objectif était d’encourager au moins 100 000 pères par an à prendre un congé parental, soit 25 % des pères », rappellent les auteurs. Un objectif encore très lointain.

Hélène Périvier met en avant les raisons du non-recours au congé parental par la quasi-totalité des pères : « Le congé parental engendre des baisses de revenus. Or, dans un couple, c’est souvent l’homme qui gagne plus que la femme donc c’est la mère qui a le plus recours à ce congé. » Pourtant, les pères travaillant à temps partiel semblent avoir un intérêt : en plus de l’indemnité de congé, ils conservent leur rémunération. Or, les chercheurs estiment que 68,7 % des pères travaillant à temps partiel en 2017 et ayant un enfant âgé de moins de douze mois n’ont pas demandé à percevoir l’indemnité, contre un quart des mères. « Le non-recours des pères travaillant à temps partiel suggère que le niveau d’indemnisation du congé n’est pas le seul facteur déterminant », concluent les auteurs. Selon eux, une « campagne d’information et de sensibilisation pour contrer l’association du congé parental aux mères pourrait permettre de réduire le biais de genre qui affecte ce dispositif ».

Quelle est la situation en Europe ?

Si la situation est loin d’être égalitaire en France, des pays se distinguent par une meilleure répartition du congé parental. Les modalités sont propres à chaque système mais le congé parental a été rendu obligatoire dans l’Union européenne en 2010 et une directive adoptée en 2019 garantit quatre mois de congé parental pour chaque parent, dont deux non transférables. Néanmoins, le droit européen ne garantit aucune rémunération.

« Les pays scandinaves mais aussi l’Allemagne et ceux du Sud, comme l’Espagne, ont réussi à trouver un meilleur équilibre genré dans le congé parental », constate Mme Périvier. Pour les parents allemands et scandinaves, le niveau d’indemnisation est fondé sur le salaire passé. Mais cette répartition genrée plus équilibrée qu’en France s’explique aussi par des normes éducatives différentes. « Dans un pays scandinave, les parents ne confient pas leur enfant à quelqu’un avant un an. Alors qu’en France, nous ne sommes pas considérés comme un mauvais parent si on laisse son enfant à la crèche », analyse l’économiste.

Mais « peu de pays ont choisi d’offrir des services similaires de courte durée et bien rémunérés. Au lieu de cela, les réformes récentes permettent aux pères de prendre des périodes de congés plus longues (…) mais offrent des niveaux de prestation beaucoup plus faibles », notent les deux chercheurs. Ils prennent l’exemple du Royaume-Uni, où les parents ont huit mois à se partager pour 600 euros mensuels, de l’Italie avec onze mois pour 30 % du salaire précédent et de la France avec 400 euros mensuels pendant trois ans.

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