« On reste stupéfait par ce désir de dégrader, par des lois toujours plus mesquines, l’image de la France »

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« Nous allons prendre une décision radicale, l’inscription de la fin du droit du sol à Mayotte. » L’annonce est fracassante. Seule sa réalisation serait « radicale », si le gouvernement parvenait soit à la faire admettre par le Conseil constitutionnel, soit à modifier la Constitution pour permettre une telle exception à un principe essentiel. Se satisfaire de l’annonce comme mode d’action politique est propre à l’époque, de même que cette opinion désormais admise que ce sont les lois, et non nos insuffisances, qui entravent notre capacité à agir.

La question est plus grave que celle qu’a suscitée une disposition de la loi sur l’immigration de décembre 2023, et qui prévoyait qu’un enfant né sur le sol français, s’il avait la possibilité de devenir français à sa majorité, devait en exprimer la volonté. Même si l’on se tient à une conception de la nation héritée d’Ernest Renan, le droit du sol n’est pas incompatible avec l’expression de la volonté de devenir français, c’est-à-dire d’appartenir à une communauté qu’un simple hasard géographique ne suffit pas à définir.

Mais le droit du sol, en lui-même, va plus loin. Il porte cette promesse de libération que contenait, depuis bien avant la Révolution, l’ancien droit français, selon lequel l’esclave qui abordait en France devenait libre de ce fait. Il ne devenait pas français pour autant. Les esclaves de Jefferson, émancipés à leur arrivée à Paris, sont restés américains. Mais le droit français se nimbait malgré tout de cette possibilité émancipatrice à laquelle la Déclaration des droits de l’homme a donné sa forme la plus éclatante. S’éloigner de cette conception, fût-ce à propos d’une île minuscule exposée à une crise des plus graves, est à la fois chimérique et dangereux.

Pouvoir émancipateur du sol français

Chimérique parce que ce que la France a à offrir à ceux qui veulent la rejoindre ne se limite pas à un document d’état civil. Un étranger sur le sol de France jouit de droits qui n’existent pas dans les deux tiers des pays de la planète. Il faudrait, pour décourager les Comoriennes de venir accoucher à Mayotte, leur interdire l’accès aux maternités publiques ; fermer les écoles de la République aux enfants étrangers. Ce qu’il faudrait, en somme, c’est une révision complète de la Déclaration des droits de l’homme. C’est elle, au fond, qui empêche le ministre de l’intérieur de faire correctement son travail. On reste stupéfait par ce désir, à la fois vain et blasphématoire, de dégrader, par des lois toujours plus mesquines, l’image de la France pour empêcher que quiconque puisse en rêver jamais.

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