« Nos pires scénarios ont été dépassés »

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Une campagne de vaccination contre le paludisme, chez l’enfant de moins de 2 ans, à Abobo, dans le district d’Abidjan, le 15 juillet 2024.

« Nous avons essayé d’anticiper cela, mais je pense que même nos pires scénarios ont été dépassés », a déclaré, mercredi 5 février à l’Agence France-Presse (AFP), James Tibenderana, directeur général du Malaria Consortium, une importante ONG basée à Londres, qui dirige des projets de lutte contre le paludisme dans le monde entier. Le gel soudain de l’aide américaine pourrait avoir un impact dévastateur dans la lutte contre la maladie, au moment où de nouveaux variants mortels se développent en Afrique, avertit le responsable.

Seulement huit jours après son investiture, le président américain Donald Trump a signé, le 28 janvier, un décret gelant quasiment toute l’aide internationale pour quatre-vingt-dix jours, le temps de s’assurer que chaque dollar américain était utilisé en conformité avec ses priorités. Son administration a ensuite émis certaines dérogations, comme l’aide alimentaire d’urgence, mais les organisations humanitaires affirment que l’impact de ce gel se fait déjà sentir sur certaines des populations les plus vulnérables du monde.

Il y a environ 250 millions de cas de paludisme et plus de 600 000 décès chaque année, la grande majorité en Afrique. Le gouvernement américain a fourni jusqu’à 1 milliard de dollars par an pour la lutte contre le paludisme et la recherche – soit environ 40 % du total mondial.

Résistance aux médicaments

Malaria Consortium a déjà été contraint de licencier du personnel travaillant sur un programme au Mozambique et d’arrêter un programme en Asie, même si seulement 5 % de son financement provient du gouvernement américain. Pour James Tibenderana, le gel de l’aide américaine va impacter tout le secteur. « C’est tellement perturbant, tellement soudain », a-t-il ajouté, soulignant que cette décision intervenait au moment où les premiers signes de résistance aux médicaments et aux insecticides commencent à émerger.

Lire aussi (2020) | Article réservé à nos abonnés Paludisme : un mécanisme de résistance à l’artémisinine identifié

« Le temps presse pour la résistance aux médicaments en Afrique, a-t-il averti. Les premiers signes de résistance à la thérapie à base d’artémisinine, qui est l’épine dorsale du traitement contre le paludisme, commencent à apparaître. Il y a des signalements en Erythrée, en Ethiopie, au Soudan du Sud, au Soudan et en Ouganda », selon lui.

Les organisations financées par les Etats-Unis ont été les principaux acteurs dans le suivi de ces souches résistantes, grâce à la cartographie génomique et aux études sur l’efficacité des médicaments. La décision de l’administration de Donald Trump intervient également au moment où une espèce de moustique en provenance d’Asie, l’Anopheles stephensi, commence à se répandre en Afrique de l’Est.

Il prospère dans les zones urbaines et résiste aux insecticides, pouvant potentiellement mettre en danger 126 millions de personnes supplémentaires dans les villes africaines, selon une étude de 2020. « L’invasion et la propagation d’Anopheles stephensi peuvent changer le paysage du paludisme en Afrique et effacer des décennies de progrès accomplis dans le contrôle du paludisme », a déclaré en novembre Meera Venkatesan, chef de la division du paludisme pour l’Agence américaine pour le développement international à l’AFP.

Hôpitaux ruraux touchés

Sa division a maintenant été fermée, avec le reste de l’Agence, par le président Trump. Selon lui, l’Agence « est dirigée par une bande de fous extrémistes, et nous les virons (…). Et ensuite nous prendrons une décision » sur l’avenir de l’organisation. Les réductions de financement décidées par Washington toucheront les chaînes d’approvisionnement, les hôpitaux ruraux et les programmes d’achat des moustiquaires, forçant les familles pauvres à s’endetter lorsqu’elles devront envoyer leurs enfants à l’hôpital, a regretté James Tibenderana.

Les enfants de moins de cinq ans représentent 80 % des décès dus au paludisme en Afrique, selon l’Organisation mondiale de la santé. Le chef de Malaria Consortium espère que d’autres gouvernements et institutions comme la Banque mondiale pourront intervenir. Mais les ressources financières sont rares.

Le Monde avec AFP

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