« Memorial face à l’oppression russe », monographie de « l’ennemie idéologique » de Vladimir Poutine

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Pour nombre de correspondants étrangers, se rendre dans les locaux de Memorial, installés, depuis 2011, rue Karetny Riad, dans le centre de Moscou, représentait une bouffée d’oxygène, une raison d’espérer. « Un lien qui consolait », comme le rappelle fort justement Etienne Bouche, ex-journaliste en Russie et auteur d’une monographie sur la plus célèbre ONG russe intitulée Memorial face à l’oppression russe (éditions Plein Jour, à paraître le 15 septembre). Une adresse où l’on pouvait se dire qu’« il restait encore à la société quelques défenses immunitaires », et que le pouvoir s’est employé à détruire.

Lire aussi l’éditorial du « Monde » (29 décembre 2021) : L’ONG russe Memorial liquidée, la mémoire verrouillée

Le 28 décembre 2021, la justice russe a prononcé la liquidation de Memorial et de toutes ses antennes locales, en l’accusant de « créer une image mensongère de l’URSS comme Etat terroriste », et de « blanchir et de réhabiliter les criminels nazis ». Le dernier obstacle avant le lancement de l’invasion de l’Ukraine, deux mois plus tard, était ainsi levé.

Car l’association de défense des droits humains, colauréate du prix Nobel de la paix 2022, ne s’est pas seulement employée, pendant des années, à mettre au jour et à documenter les crimes de la période stalinienne et communiste, et ceux, plus récents, commis lors des deux guerres russo-tchétchènes, elle était surtout la seule voix alternative au révisionnisme de Vladimir Poutine. « Une ennemie idéologique », note Etienne Bouche, contre la mémoire de la seconde guerre mondiale, « devenue une rente politique » pour le chef du Kremlin.

Affrontement inévitable

A sa naissance, en 1989, Memorial constitue alors l’aboutissement logique du combat de dissidents soviétiques qui, bien des années auparavant, avaient commencé à briser le mur de la terreur, en diffusant deux samizdats (écrits clandestins), la Chronique des événements en cours, dès 1968, puis Pamiat (« Mémoire »). L’un se donnait pour objectif de dénoncer les répressions de l’époque, l’autre, celles du passé, avec la même volonté « de défaire les mystifications », souligne l’auteur. Sur cette base, le principal mouvement issu de la société civile va prendre forme sous l’impulsion d’intellectuels, principalement issus du monde scientifique, dont le physicien Andreï Sakharov, prix Nobel de la paix en 1975, et cofondateur de Memorial. En 1990, un an après sa mort, sa veuve, Elena Bonner, obtiendra de Mikhaïl Gorbatchev l’enregistrement officiel de l’ONG.

Avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine et celle des héritiers, comme lui, du KGB, pétris de la culture du passé, l’affrontement sur le terrain des traumatismes collectifs était prévisible. Déclarée « agent de l’étranger » en 2016, Memorial n’a cessé de sentir l’étau se resserrer autour d’elle. Intimidations et perquisitions au domicile de plusieurs de ses membres, parfois poursuivis pour « extrémisme », se sont enchaînées.

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