les SDF vont-ils faire la manche avec un QR code ?

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Un sans-abri fait la manche dans une rue de Bordeaux, le 24 août 2023.

En cette fin de matinée de novembre, Gaëtan Rohart se prépare à une nouvelle journée de vaches maigres. Dans le récipient en argent placé devant lui, seulement quelques piécettes couleur cuivre, des centimes. « On n’ira pas bien loin avec ça », lâche-t-il à l’adresse de sa chienne donnant la tétée à ses petits. Accroupi sur une bâche bleue devant le Carrefour Express de la rue de Valmy, à Lille, Gaëtan Rohart garde le sourire, malgré les circonstances.

Agé de 50 ans, le sans-abri vit sous une tente, sur un terrain abandonné dans le sud de la capitale des Flandres, avec deux compagnons d’infortune. Pour subvenir à leurs besoins, tous les trois font la manche en différents points de la ville. « A la fin de la journée, on met tout en commun, explique le quinquagénaire, tout en tapotant sa doudoune pour lutter contre le froid. On a eu l’intelligence d’être solidaires, sinon on ne s’en sortirait pas. »

A la rue depuis sept ans, Gaëtan Rohart a vu la générosité s’effriter. Au fil des ans, les sommes récoltées se réduisent, et les donateurs se font de plus en plus rares. « Les gens n’ont plus de monnaie sur eux. C’est de plus en plus difficile. Aujourd’hui, je réussis à récolter entre 30 et 40 euros par jour, contre 150 euros il y a quelques années. Avant, je pouvais de temps à autre m’offrir une chambre d’hôtel, dormir au chaud. »

Un peu plus loin, aux abords de la place de la République, Julien Digaud essuie les refus ou l’indifférence des passants pressés. Blond aux yeux bleus et sac à dos sur les épaules, cet homme de 37 ans, sans domicile fixe depuis son adolescence et la mort de sa mère, est en quête de monnaie pour se payer une nuit dans un lit. « J’arrive à obtenir 50 euros par jour contre 80 il y a quelque temps. Le montant des dons baisse. Des passants pouvaient me donner un billet de 5 ou 10 euros alors qu’aujourd’hui ils ont à peine quelques pièces sur eux, c’est une réalité. »

Déculpabilisation du passant

Si les espèces représentent toujours la majorité des paiements, la Banque de France indique dans sa dernière étude d’avril 2023 que leur utilisation décline au fil des ans. Dans le même temps, les paiements en carte bancaire augmentent, pour atteindre 43 % des transactions. Pour expliquer ce phénomène, Gaëtan Rohart désigne du menton les nouvelles caisses automatiques du Carrefour Express. « Ils les ont installées il y a deux semaines. C’est le signe de la nouvelle ère dans nos moyens de paiement : plus besoin d’espèces. Même les Ticket Restaurant ont été dématérialisés. On m’en donne environ deux par mois contre plusieurs par jour auparavant. »

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