LETTRE DE BERLIN
L’Allemagne est l’homme malade de l’Europe, littéralement. Selon les statistiques officielles, les Allemands sont de plus en plus souvent malades, et s’arrêtent de plus en plus longtemps lorsqu’ils le sont : quatre jours de congé maladie de plus en moyenne en 2023 qu’en 2021, soit 15,1 jours contre 11,1 deux ans plus tôt, selon l’Office fédéral des statistiques (qui ne compte que les arrêts de plus de trois jours). Et la tendance s’accélère, puisqu’un record est attendu cette année, la fédération de caisses d’assurance-maladie, l’Allgemeine Ortskrankenkasse (AOK), ayant averti qu’un nouveau pic avait été atteint dès le mois d’août, avant même l’arrivée de l’hiver.
Dans un pays en récession, le sujet n’a rien d’anecdotique. La publication de ces chiffres a eu un fort retentissement en Allemagne, générant une inhabituelle vague d’introspection. « Sommes-nous tous devenus des tire-au-flanc ? », titrait ainsi le Tagesspiegel il y a quelques jours. « Sommes-nous paresseux ou simplement finis ? », s’interrogeait même le tabloïd Bild, tandis que le Handelsblatt parle de « la République malade ».
Les commentaires avancent volontiers que le pays est devenu le champion européen des arrêts maladie. Pourtant, les comparaisons internationales, complexes voire impossibles du fait des écarts de réglementation, conduisent à des conclusions souvent divergentes.
Les sondages menés par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) auprès des employés ne sont pas si affirmatifs, même si ses experts admettent observer une augmentation récente. A titre indicatif (les données n’étant pas directement comparables), un rapport de l’inspection des finances, paru en juillet, affirme que les salariés du secteur privé en France se sont absentés en moyenne 11,7 jours pour des raisons de santé en 2022, et les agents publics en moyenne 14,5 jours.
Un pilier de l’Etat social
Outre-Rhin, les réactions à ces statistiques en diraient ainsi presque plus long que les chiffres eux-mêmes : l’Allemagne, pays de l’éthique protestante du travail, serait-elle en train de vivre un changement de culture ?
Les économistes y voient un frein à la reprise de la croissance, certains avancent même que le manque à gagner lié à ces absences suffirait à combler le demi-point de produit intérieur brut (PIB) qui permettrait de sortir de la récession. « Le taux d’absentéisme élevé constitue un risque supplémentaire pour les chances de réussite des entreprises à surmonter la faiblesse de la croissance », assure le responsable d’une des principales caisses d’assurance maladie (DAK), Andreas Storm, dans le Bild du 28 octobre. La droite et les libéraux y lisent, quant à eux, le symptôme de la trop grande générosité de l’Etat social dont le coût entraverait le redémarrage de l’Allemagne.
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