La colère gronde, bourdonne, pétarade. Ce 26 juillet 2023, deux cents motos font vrombir les moteurs en remontant la départementale qui fend La Haye-Malherbe (Eure), village normand de 1 400 habitants. Ainsi s’ouvre la marche blanche pour Enzo, 15 ans, tué d’un coup de couteau quatre jours plus tôt. Le bruit des cylindrées, hommage à l’adolescent féru de cross bitume, fait frémir un élu présent parmi le millier de personnes.
L’affaire Enzo a surgi dans l’actualité nationale vingt jours après les émeutes urbaines de l’été. Un prénom devenu symbole des fractures hexagonales. D’une France des campagnes, blanche et populaire, ignorée des élites, dont les médias du groupe Bolloré se sont fait la caisse de résonance. « Tué pour un regard », lit-on sur le bandeau blanc de la chaîne CNews. L’émission « L’Heure des pros » s’est ouverte sur la mort du garçon. « Pourquoi, pourquoi personne n’en parle ? », répète l’animateur. « On est les seuls à parler d’Enzo », conclut-il, bien que de nombreux médias aient rapporté la nouvelle, La Dépêche de Louviers, l’AFP, Le Parisien, BFM-TV ou TF1.
Le prénom d’Enzo s’affiche aussi en « une » du premier Journal du dimanche (JDD) de l’ère Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction venu de Valeurs actuelles. Le journal entré dans l’univers Bolloré reparaît le 6 août, après une grève historique. Un raté : dans les kiosques, c’est la photo d’un hommage à un autre Enzo, adolescent percuté par une voiture six mois plus tôt, dans les Landes, qui s’étale. Geoffroy Lejeune nie publiquement l’erreur d’illustration. Mais, sans bruit, l’iconographe du JDD est évincé. Sous le gros titre « Nous ne sommes pas un fait divers », une lettre ouverte à Emmanuel Macron, signée des parents d’Enzo, évoque des « criminels aux profils trop récurrents », oppose les victimes à « cette France dite prioritaire » et s’interroge sur ce qui « s’appelle l’Etat de droit ». Entre les lignes : le garçon aurait été la victime de délinquants multirécidivistes venus des cités.
A La Haye-Malherbe, bourgade où, disent les habitants, il ne se passe « jamais rien », l’émotion déborde. Le 23 juillet, lendemain du meurtre, le parquet annonce l’ouverture d’une enquête pour homicide volontaire. Deux mineurs sont en garde à vue. A 10 heures, France 3 Normandie rapporte un mot du maire, Serge Marais. « Il semblerait que l’agression ait eu lieu pour un simple regard, qui n’aurait pas plu », livre l’élu sans étiquette, choqué. La Dépêche du Midi titre : « L’agression a eu lieu pour un simple regard ».
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