Les maths en amateur, pour le plaisir de la recherche

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Y a-t-il une place pour les amateurs dans la recherche mathématique ? On cite bien des amateurs célèbres, mais c’est souvent dans l’histoire lointaine. Pierre de Fermat [1607-1665], par exemple, l’un des plus grands arithméticiens de tous les temps, était juge à Toulouse et pratiquait les mathématiques comme un passe-temps. Mais c’était au XVIIe siècle.

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Il y a aussi le cas de Srinivasa Ramanujan, ce génie, né en Inde en 1887, qui a découvert un nombre incroyable de merveilles mathématiques dans un total isolement scientifique. En 1914, il envoie une lettre au professeur Hardy, de Cambridge, qui écrira plus tard qu’« un seul coup d’œil sur ces formules était suffisant pour se rendre compte qu’elles ne pouvaient être pensées que par un mathématicien de tout premier rang ». Mais tout cela se passait il y a un siècle. Ramanujan est-il encore possible aujourd’hui ?

Les mathématiques sont devenues tellement complexes et spécialisées qu’elles sont inaccessibles au grand public. Les mathématiciens qui se risquent à la vulgarisation savent bien qu’ils ne peuvent évoquer que certains résultats, les plus faciles, le plus souvent très anciens, qui ne représentent pas véritablement le cœur de leur discipline. Cela engendre une certaine frustration dans la communauté des chercheurs, qui ont tendance à s’enfermer dans leur tour d’ivoire et à se comporter comme des « incompris ». Il y a pourtant une demande indéniable de la part du public à laquelle il faut tenter de répondre.

Le devoir de répondre

Je reçois beaucoup de lettres d’amateurs me présentant leurs découvertes mathématiques. Les thèmes abordés sont presque toujours les mêmes. Il y a d’abord des « solutions » de la quadrature du cercle ou des « preuves » du cinquième postulat d’Euclide dont on sait pourtant depuis plus d’un siècle qu’elles sont impossibles. Mais il y a aussi des preuves de l’hypothèse de Riemann ou encore des solutions de la conjecture de Syracuse, qui semble éveiller la curiosité des amateurs. La situation est alors différente, car, après tout, il n’est pas impossible, même s’il est très peu probable, que ces lettres contiennent des preuves correctes. Il faut ajouter que ces manuscrits sont souvent très longs et consistent en des alignements de formules incompréhensibles.

Trouver une erreur dans un tel fatras prend un temps considérable. Pire, le simple fait de pointer une erreur entraîne presque toujours une nouvelle version « corrigée » par retour du courrier. Faut-il ignorer ce genre de lettres, comme le font la plupart de mes collègues, au risque de séparer encore plus la communauté des chercheurs de la population générale ? N’avons-nous pas le devoir de répondre ? Puis-je prétendre que le résultat ne m’intéresse pas, alors qu’une preuve de l’hypothèse de Riemann me ravirait ? Il m’arrive souvent, de manière un peu hypocrite, de conseiller d’envoyer le manuscrit à une revue scientifique, mais il n’est pas rare que ces amateurs refusent de transmettre leurs découvertes à des revues, de peur qu’on ne les leur dérobe.

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