les extraits de « Nous y étions », le livre d’Annick Cojean sur les vétérans du « D-Day »

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« Nous y étions », d’Annick Cojean (Grasset, 176 pages, 18,50 euros).

[En 1994, à l’occasion du 50ᵉ anniversaire du débarquement allié en Normandie, ­notre journaliste Annick Cojean avait longuement interrogé ­dix-huit grands acteurs du 6 juin 1944 pour une série d’articles très remarquée. ­Chacun de ces personnages, des Américains, des Canadiens, des Britanniques, des Français mais aussi des soldats allemands, ­évoquait son « D-Day ». ­L’ensemble composait un ­tableau si complet de ces ­heures historiques que les ­éditions Grasset et « Le Monde » ont décidé de les republier à l’approche du 80ᵉ anniversaire, accompagnés d’une préface et d’une mise en contexte. L’occasion de ­rendre hommage aux dix-huit témoins, aujourd’hui ­décédés. Dans l’extrait ­reproduit ici, le ranger Leonard ­Lomell ­raconte un moment ­décisif : l’escalade de la pointe du Hoc.]

Bonnes feuilles. Neuf péniches d’assaut ballottées par une mer déchaînée et glacée accostent sur l’étroite plage située sous la falaise abrupte de la pointe du Hoc, à mi-distance entre les plages d’Omaha et d’Utah. Les hommes du 2ᵉ bataillon de Rangers US s’apprêtent à tenter ce que le général Omar Bradley a appelé « la mission la plus dangereuse du D-Day » : escalader la paroi à pic, détruire la batterie de canons menaçant simultanément les deux plages et barrer la route côtière aux Allemands. Mission suicide ? Beaucoup le pensent. Mais le premier sergent Len Lomell, 24 ans, ne voit pas ce qui pourrait effrayer un ranger.

6 juin 1944, 7 h 10. Le ranger américain Len Lomell s’apprête à escalader la pointe du Hoc

« Je ne rêvais pas d’être un héros. Je voulais simplement faire mon travail. On avait confié aux rangers une mission délicate pour laquelle ils avaient été spécialement entraînés. A eux de ne pas trahir la confiance qu’on leur avait accordée. Question de loyauté, et de professionnalisme. La mission devait être accomplie. Point. Surtout pas d’états d’âme.

Avoir peur ? Mais de quoi ? Nous étions les meilleurs ! Je me sentais préparé, qualifié, compétent. Donc parfaitement confiant. Aucun Allemand, me disais-je, ne serait assez fort pour triompher de moi ; aucune troupe ne pourrait venir à bout d’un bataillon de rangers. Ce n’était pas une question de muscles. Nous étions moralement des leaders.

Les rangers, voyez-vous, ne sont pas des soldats ordinaires. C’est la crème de la crème. Volontaires et motivés. Choisis aussi. Et, croyez-moi, la sélection était impitoyable : tests médicaux, interrogatoires psychologiques, exercices physiques exténuants… A Camp Forrest, dans le Tennessee, où nous nous étions entraînés, nous pouvions courir à l’aube huit kilomètres avant le petit déjeuner, escalader des falaises, franchir des barbelés, marcher en pleine chaleur 50 kilomètres, sac au dos, sans s’arrêter, et arriver aptes au combat, prêts au corps-à-corps… Oui, les rangers étaient une unité d’élite. La mission de la pointe du Hoc ne peut s’entendre que sous cet éclairage. Sinon… c’eût été de la folie.

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