les disparus de Lagos de Moreno

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En traversant ses places aux haies parfaitement taillées qui bordent ses églises baroques, le drame de la ville de Lagos de Moreno n’est pas visible à l’étranger de passage. Dans cet Etat du Jalisco, dans le centre du Mexique, la mairie s’emploie à le cacher derrière des publicités alléchantes, entre images sur papier glacé de mariés s’embrassant dans la somptueuse église des Capucines et clichés de baptêmes célébrés dans la cathédrale en pierre rose du XVIIIe siècle. Le centre de Lagos de Moreno, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, a toujours vécu du tourisme. Mais, depuis le 11 août, les visiteurs ont déserté cette agglomération de 173 000 habitants, tandis que son malheur s’étalait à la « une » des journaux nationaux et qu’aucune opération de promotion ne pouvait plus le dissimuler.

Ce soir-là, cinq amis, âgés de 19 à 22 ans, s’étaient donné rendez-vous comme de coutume sur la place du Mirador San Miguel, qui offre un panorama spectaculaire sur les clochers des environs. Uriel, Diego, Roberto, Dante et Jaime aimaient se retrouver ainsi, sur les marches de l’amphithéâtre, face aux cyprès. Ils se connaissaient depuis l’enfance et partageaient une même passion pour le sport. Dante avait gagné plusieurs prix de cyclisme et Jaime le trophée de meilleur attaquant du championnat régional de football en 2022. Uriel et Roberto pratiquaient ensemble la boxe. Diego s’entraînait chaque jour dans une salle de sport.

Vue aérienne de la ville de Lagos de Moreno, dans l’Etat du Jalisco, au centre du Mexique, le 12 octobre 2023.
Au domicile des parents de Dante, à Lagos de Moreno (Mexique), le 11 octobre 2023.

Ce vendredi soir, les sujets de discussion ne manquaient pas. Diego allait se marier en janvier, Dante et Uriel se préparaient à monter en duo un restaurant de tacos. Roberto, lui, pensait partir quelque temps au Canada, sitôt son diplôme d’ingénieur en poche. Quant à Jaime, il voulait retenter sa chance auprès de clubs de foot professionnels. Mais ils étaient là à un endroit particulier, sur les hauteurs d’une ville située à la croisée des routes de la drogue, un territoire stratégique dominé par le cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG), le groupe criminel le plus sanguinaire du pays, notamment connu pour avoir fait de Lagos de Moreno, bourgade paisible, un immense cimetière.

Du passage des cinq jeunes gens au Mirador San Miguel, ce 11 août, la police n’a retrouvé que quelques taches de sang sur les bancs de l’amphithéâtre. L’ADN était celui de Diego, le futur marié. Leurs noms font désormais partie de la liste interminable des disparus du Mexique. Leur nombre dépasserait les 110 000 depuis que, à son arrivée au pouvoir, l’ancien président Felipe Calderon (2006-2012) avait déclaré tambour battant, et sans préparation, une « guerre au narcotrafic ». En dix-sept ans, le Mexique a ainsi pris le peloton de tête de cette tragédie de l’Amérique latine contemporaine, devant les 90 000 Colombiens disparus en cinquante ans de guerre civile, et les 30 000 victimes des sept années de dictature militaire en Argentine (1976-1983).

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