« Les commérages sont une source de divertissement et une manière de créer du lien »

2382


La professeure associée de sociologie à l’université de Groningue (Pays-Bas), autrice de l’article « Gossip » dans l’ouvrage Passions sociales (PUF, 2019, dir. Gloria Origgi), explique que les ragots incitent à se conformer aux normes du groupe et sont une manière d’évacuer les émotions négatives à l’échelle de l’individu.

Qu’est-ce que le commérage exactement ? Est-ce une activité gratuite ?

Le commérage se distingue d’autres formes de communication informelle par son contenu : il est une forme d’évaluation, de jugement (pas toujours explicite) posé sur un tiers absent. En d’autres termes, un ragot ne serait pas répété si la cible était présente. Le jugement porté peut être tout aussi bien négatif que positif.

Le commérage sert diverses fonctions sociales. A l’échelle de l’individu, c’est une façon d’évacuer les émotions négatives, de montrer que l’on est bien informé et bien intégré au sein d’un collectif, d’acquérir des informations pertinentes sur un groupe ou de se comparer. Les commérages sont de plus une source de divertissement et une manière de créer du lien.

A l’échelle du groupe, les ragots fonctionnent comme une sanction sociale « douce » – c’est-à-dire qu’ils incitent à se conformer aux normes du groupe et permettent aux membres de savoir qui les a outrepassées. Etre la cible de ragots incite à devenir un meilleur membre de la communauté.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La relation amicale, un espace genré ?

Quel rôle le commérage joue-t-il dans l’établissement et l’entretien des amitiés ?

Amitié et commérage sont très étroitement apparentés : le commérage requiert de l’intimité et de la confidentialité, deux aspects eux-mêmes constitutifs de l’amitié. Les amis peuvent commérer les uns sur les autres pour de nombreuses raisons. Prenons l’exemple de quelqu’un en couple depuis plusieurs années, et qui est surpris en train de tromper son ou sa partenaire. Le ragot se propage rapidement, car l’information est nouvelle et divertissante, mais aussi parce que les amis cherchent à donner du sens à ce comportement et se demandent s’ils doivent agir en conséquence.

Le commérage est une forme de communication souvent associée aux femmes, et souvent stigmatisée. Quand et comment cette association a-t-elle émergé ?

En anglais, le terme gossip [« commérage »] désignait à l’origine les proches féminines de la famille qui étaient présentes lors des accouchements aux côtés de la parturiente : dans l’Europe médiévale, le travail était en effet un moment de grande sociabilité féminine, et on faisait la conversation pour apporter un soutien moral et passer le temps. Le terme gossip a donc longtemps été neutre, et il ne se teinte d’une connotation négative qu’à partir du XVIe siècle.

Il vous reste 18.29% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.



Source link