
Quand la journaliste Ruth Marcus est entrée au Washington Post, il y a quarante ans, le journal était auréolé des révélations qui avaient poussé le président Richard Nixon à démissionner, en 1974. Résonance avec la mythique affaire du Watergate : le premier scandale à éclabousser l’administration Trump 2 a été baptisé « Signalgate » – l’utilisation de la messagerie Signal pour échanger des informations classifiées sur une opération militaire au Yémen, le 15 mars –, un clin d’œil relevé par le magazine The Atlantic, à l’origine du scoop.
La rédactrice en chef adjointe des pages Opinions, Ruth Marcus, a songé à cette gloire passée lorsqu’elle a démissionné du « WaPo », le 10 mars, la mort dans l’âme. Elle venait de rédiger une chronique circonspecte sur la touche MAGA (Make America Great Again) que Jeff Bezos, fondateur d’Amazon et propriétaire du Washington Post, tente d’imprimer aux pages Opinions. Un texte qui, sur l’échelle de la critique, se rapprochait plutôt du tofu que d’une viande saignante, dit-elle drôlement. Il a été censuré. « Le Washington Post que j’ai rejoint, que j’ai aimé, n’est plus le Washington Post que je quitte », écrit-elle dans le New Yorker.
Sous les deux imposantes tourelles aux reflets or rose qui surplombent Franklin Square, à cinq blocs de la Maison Blanche, la crise sourd encore au siège du journal. Le 26 février, Jeff Bezos a fait savoir que les pages éditoriales passeraient au tamis idéologique : oui aux opinions défendant les « libertés individuelles » et les « marchés libres », non aux « points de vue s’opposant à ces piliers ». Les mots du milliardaire sont vagues, mais la rédaction y lit un gage offert à Donald Trump. Le rédacteur en chef des pages Opinions, David Shipley, démissionne – il n’est toujours pas remplacé.
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