« Le tissu des conversations est déchiré depuis le 7 octobre »

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Une planche extraite de « Nous vivrons ».

« Nous vivrons. Enquête sur l’avenir des juifs », de Joann Sfar, Les Arènes, « BD », 456 p., 35 €.

Le jour où on le rencontre chez son éditeur, Joann Sfar porte autour du cou le « haï » (« vie », en hébreu) offert par ses amis pour ses 52 ans. Le 7 octobre 2023, il venait de calligraphier, à destination du joaillier, les deux lettres hébraïques composant ce mot symbole du judaïsme. En apprenant les attaques du Hamas, il les a postées sur ses réseaux sociaux avec une des traductions possibles : « Nous vivrons ». Six mois plus tard, Nous vivrons est le titre de l’épais album né de son désarroi, de son chagrin, de son goût d’expliquer et de sa soif de comprendre.

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Un livre qui semble d’abord emprunter sa forme aux carnets dessinés dans lesquels Joann Sfar chronique son quotidien et ses réflexions (le dernier paru est Les enfants ne se laissaient pas faire, Gallimard, 2023). Cela concerne surtout la première moitié de Nous vivrons, où Joann Sfar est en France. Après les massacres, dont l’ampleur et l’horreur se ­révèlent un peu plus chaque jour, il échange avec des vivants aussi accablés que lui, mais dialogue surtout avec les fantômes de son père et de son grand-père.

Progressivement, l’ouvrage revendique sa forme d’enquête, nourrie, dans sa deuxième partie, de reportages en Israël, à Tel-Aviv, dans le sud du pays, et à Jérusalem, où l’auteur interroge des hommes et des femmes, juifs, mais pas seulement, sur la manière dont ils appréhendent le présent et l’avenir après le 7 octobre, la guerre contre le Hamas et les morts de Gaza – « J’en suis malade. Ma plume ne justifiera jamais aucune tuerie », écrit-il.

Le texte, avec les commentaires de l’auteur ou ses méditations sur l’histoire du conflit israélo-arabe, prête main-forte au dessin pour donner à voir la complexité du réel, le poids du passé et la densité de l’angoisse où baignent les êtres dont il trace le portrait – ce qui n’exclut pas des passages drôles, d’un humour féroce, désespéré ou absurde.

Estimez-vous que « Nous vivrons » est né du 7 octobre lui-même ou des ­réactions que le massacre perpétré par le Hamas a provoquées en France et dans le monde ?

Le 7 octobre est une tragédie qui a mis au grand jour une espèce de gouffre conceptuel concernant le Proche-Orient, sur lequel se développent les pires horreurs, y compris en Europe. Face à cette déflagration et aux fake news qui ont suivi, au vacarme qui s’est déchaîné, la seule réaction possible a été pour moi de faire mon travail de dessinateur avec mon vocabulaire de portraitiste, en donnant la parole au plus de gens possible. Il s’agit d’avoir un marqueur pour l’histoire de ce que sont les juifs aujourd’hui, depuis ma perspective de juif français, européen. Après le 7 octobre, je n’arrivais à rien faire d’autre, j’ai abandonné tous mes autres projets. J’ai eu le sentiment d’être capable de mener cette enquête à son terme si je me concentrais dessus.

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