Pour l’avocat Mazen Darwish, ancien directeur du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM), et membre de la Fédération internationale de défense des droits humains (FIDH), c’est un « jour historique : une nouvelle victoire pour les victimes, leurs familles et les survivants, et un pas sur la voie de la justice ». Et surtout, l’aboutissement d’un long combat commencé il y a dix ans.
La justice française a émis le 14 novembre un mandat d’arrêt international contre le président syrien, Bachar Al-Assad, accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour les attaques chimiques perpétrées en août 2013 contre les populations de la Ghouta orientale, une vaste zone périurbaine et agricole située près de la capitale, Damas, alors contrôlée par une rébellion en guerre contre le régime.
Outre Bachar al-Assad, les mandats visent son frère, Maher, chef de facto de la 4e division, unité d’élite de l’armée et garde prétorienne du régime, ainsi que deux généraux, Ghassan Abbas, directeur de la branche 450 du Centre d’études et de recherches scientifiques où ont été développées les armes chimiques, et Bassam Al-Hassan, officier de liaison et chef de la sécurité. Tous sont considérés comme étant au cœur de la chaîne de commandement qui a pris la décision de bombarder ces zones civiles. Les attaques du 5 août à Adra avaient fait au moins 450 blessés. Le 21 août, le bombardement de Douma marquait une étape supplémentaire dans l’escalade de la terreur : plus de 1 000 personnes avaient péri, des milliers d’autres avaient été blessées.
Un mandat d’arrêt émis contre un chef d’Etat en exercice par une justice nationale : le fait est inédit. Jusqu’ici, seule la Cour pénale internationale (CPI) avait osé franchir ce pas. En France, la procédure a débuté en mars 2021 après une plainte avec constitution de partie civile déposée par trois organisations non gouvernementales (ONG) : le SCM, l’Open Society Justice Initiative et Syrian Archive. La plainte raconte « l’horreur et la peur, les enfants qui pleurent et les gens qui courent », « la sidération à la vue des cadavres et le bruit des bombardements ». Les habitants de Douma avaient alors été pris en tenaille par des tirs d’artillerie conventionnels et des attaques au sarin, un neurotoxique mortel se répandant au bas des immeubles et dans les caves où s’étaient réfugiés les habitants en panique.
« Un verrou vient d’être levé »
Au départ, ce sont des militants de terrain, dont Razan Zaitouneh, avocate et militante des droits humains enlevée par un groupe armé en décembre 2013, qui se sont efforcés de rassembler les premiers éléments de preuve, rappelle Mazen Darwish, qui rend hommage à sa collègue et amie, portée disparue depuis cette date. Ont été réunis depuis et versés à la procédure françaises plus de 500 dépositions de survivants, de témoins issus de l’appareil de sécurité syrien, des centaines de vidéos, et nombre de descriptions de la chaîne de commandement de l’armée syrienne et de son programme d’armes chimiques.
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