Le Guyana, naissance d’un nouveau géant pétrolier

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« J’ai besoin de repos », avertit d’emblée le maire de Georgetown. Alfred Mentore a les traits tirés et les paupières lourdes lorsqu’il ouvre la porte de son bureau où résonnent les clameurs de la rue, faites de klaxons et de hip-hop jamaïcain mêlés. La gestion de la capitale l’épuise, depuis la découverte d’un vaste gisement de pétrole à 200 kilomètres au large des côtes. En quatre ans seulement, celui-ci a fait tripler le produit intérieur brut (PIB) de la petite nation de 800 000 habitants, soit le décollage économique le plus rapide du monde (62 % en 2022, 38 % en 2023).

L’édile a parfois du mal à reconnaître sa ville. Les maisons en ciment poussent comme des palmiers à côté de vieilles demeures en bois héritées de la colonisation britannique. Ces dernières tremblent sur leurs fondations au passage des camions aux lumières orange clignotantes et chargés de sable, qui filent, jour et nuit, vers les nombreux chantiers de construction.

Les canaux aménagés par les anciens colonisateurs hollandais sont maltraités par le développement effréné. Jadis recouverts de fleurs de lotus, ils se remplissent de détritus. Le maire se décourage parfois de voir quelques-unes de ses réalisations s’évanouir à peine sorties de terre. « On a la chance d’avoir une route, alors qu’avant on n’en avait pas », se félicite ainsi une habitante. Qui ajoute aussitôt : « Mais on ne peut plus avancer à cause des embouteillages. »

Dans un marché de rue de Georgetown, le 4 février 2024.

Développement anarchique de la ville

Signe des temps, les nouveaux quartiers résidentiels ne s’appellent plus « Mon repos » ou « Free and easy », mais « Windsor Estates » ou « Richmondville ». Avec des recettes – et donc des dépenses – en hausse, la préparation du budget de la municipalité est devenue un casse-tête, sans qu’il soit possible de planifier quoi que ce soit. Les programmes d’urbanisme sont vite rendus obsolètes par le développement anarchique de la ville. Les sollicitations pour de nouveaux permis de construire pleuvent sans interruption. La hausse de production des déchets – un indicateur de croissance parmi les plus fiables − est si élevée que des camions-poubelles parcourent la ville jour et nuit, créant des embouteillages. « On est débordé, résume l’élu, figé sur son fauteuil en cuir. Mon cerveau est fatigué, mon corps est fatigué, et je n’ai même plus le temps de jouer au golf. »

La découverte d’un gisement de pétrole, le 20 mai 2015, a changé le destin du Guyana, petit pays d’Amérique du Sud pas plus grand que le tiers de la France, coincé entre le Suriname, le Venezuela et le Brésil. A tel point que le 20 décembre 2019, date du début de l’exploration, a été déclaré « journée nationale du pétrole ». « C’est comme si le pays avait gagné au loto », résume un diplomate. Non seulement les réserves totales atteindraient les 11 milliards de barils, ce qui place le Guyana au 17e rang de la production mondiale, mais elles contiennent un hydrocarbure liquide, relativement pur et donc moins cher à extraire, ce qui offre des marges encore plus confortables. La valeur des réserves de pétrole par habitant est la deuxième plus élevée au monde, juste derrière le Koweït et loin devant l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

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